Né dans les Flandres françaises à Hazebrouck, le 15 mai 1925, Michel Gœdgebuer arrive à sept ans à Carcassonne où ses parents tiennent le grand café de la gare. Son avenir est scellé le jour où, parti acheter un petit train, il revient à la maison avec… une boîte de peinture.
À 18 ans, il va à Paris. L’École du Louvre, les cours à La Grande Chaumière avec Yves Brayer rythment ses apprentissages et le conduisent naturellement, en 1942, aux Beaux-Arts de Toulouse. Ses parents viennent d’ouvrir le fameux restaurant, La Réserve des seigneurs, au 176 route de Paris. C’est là qu’il rencontre sa future épouse, Éliane, qui fait son apprentissage de cuisinière auprès de grands chefs. (Elle régalera par la suite parents, amis et élèves de sa cuisine raffinée). De leur union, en avril 1947, naîtront six enfants.
Éliane se révèle être plus qu’une mère de famille nombreuse, aimante et attentionnée. Protectrice, elle le sera aussi envers son mari. Ils partagent les mêmes goûts pour la littérature, la poésie et pour les arts plastiques en particulier. Fine et cultivée, elle sera l’œil bienveillant qui guidera Michel sur la route difficile qu’il s’est choisie. Il a souvent reconnu combien il avait besoin de son regard avisé sur son travail.
Une rencontre déterminante conforte le jeune Michel dans son désir de devenir peintre. Il fait la connaissance, à la galerie Chappe-Lautier, du célèbre peintre Kikoïne et de son fils Yankel réfugiés à Toulouse pendant la dernière guerre. Kikoïne lui propose de venir travailler chez lui. (L’élève fera son portrait qui figure dans le livre édité en son honneur). Yankel, lui, se fixe dans notre ville le temps de faire des études de géologie, avant de devenir le peintre réputé que l’on connaît. Entraîné par Gœdgebuer, il participe, encore en « amateur », au groupe Le Chariot (en référence aux sept étoiles de la constellation) aux côtés des autres sociétaires de la SAM Jean Hugon, Robert Pagès, Christian Schmidt, Jean Teulières et André Vernette.
Ses études terminées et ses diplômes acquis, Gœdgebuer est nommé professeur en 1953 à l’École des beaux-arts de Toulouse où il restera pendant 37 ans. Il deviendra aussi, en 1969, enseignant plasticien à l’Unité pédagogique d’architecture de la Ville.
Parallèlement viennent les expositions, nombreuses, à Toulouse, mais aussi en France et à l’étranger. Trop longue en serait la liste, que l’on peut toutefois consulter sur le catalogue qui lui est consacré à l’occasion de sa rétrospective aux Olivétains de Saint-Bertrand-de-Comminges, en 2010. Trop longue aussi celle des récompenses et des honneurs dont il se souciait peu. Cependant, il fut fier et heureux d’avoir été fait chevalier des Arts et des Lettres par Madame la ministre Catherine Tasca cette même année.
Michel Gœdgebuer a exposé avec les Méridionaux de 1947 à 1996. Il a été nommé sociétaire en 1953 et fut secrétaire adjoint de 55 à 57. Il participa au Conseil d’administration et aux Relations extérieures de la SAM entre 1965 et 1982.
Il nous a quittés le 14 novembre 2020. La Société des Artistes Méridionaux perd avec lui un ami fidèle, mais aussi un magnifique peintre de la couleur. Il disait d’elle : « Elle m’apporte de la joie, de l’enthousiasme, elle me procure du bonheur ». Et il notait dans sa dernière carte de vœux : « La couleur, c’est la Vie ! ».
Françoise ALRIC
J’ai 19 ans, et je suis étudiant à l’École des beaux-arts. Je vais peindre une fois par semaine sous la verrière de l’atelier de Michel Gœdgebuer, avenue Camille-Pujol. Là, dès le premier jour, je me sens dans mon élément. Au bas de l’atelier, au bout de l’abrupt petit escalier de bois, dans son espace personnel, sur les murs, partout, les toiles de Michel sont accrochées. Je ne sais plus où donner de l’œil !
D’emblée, je suis plongé dans le bain. Première leçon : les outils. Une grosse brosse, quelques tubes et une palette. C’est tout. Ah ! la palette. Elle doit être préparée rationnellement, telle un clavier de piano. Près du bord, tons chauds et tons froids sont alignés, chacun de son côté, de part et d’autre du blanc. Le mélange se prépare au centre, au couteau, patiemment malaxé. La teinte obtenue doit être propre, franche, nette. La technique est maintenant clairement définie. Ce sont ces contraintes qui faciliteront la liberté dans la créativité.
Il n’y a plus qu’à peindre. Je dois reproduire en couleurs un moulage en plâtre… blanc. Le blanc pur et le gris neutre sont interdits ! La grosse brosse glisse sur le papier à peindre et ne permet pas le détail. Le volume prend place, le blanc et les gris deviennent des nuances ocrées, bleutée, rosées. Les valeurs modèlent les formes. Le trait n’existe pas. Tout est aplats, tout est couleurs. Au début, il faut les inventer, les deviner, jusqu’à ce qu’elles arrivent spontanément.
Je regarde encore les toiles dans l’atelier. Deux mots me viennent en tête : foisonnement et plénitude. Sur chacune, la surface est remplie, la structure est puissante, la composition bloquée. On ne peut ni ajouter, ni retrancher le moindre détail. Tout est à sa place. Solidement campée, la construction souligne la couleur, éclatante, somptueuse. Elle est si dense qu’elle déborde parfois sur le cadre. Comme s’il n’y avait pas assez de place pour tout révéler, tout dire. Pour les grands aplats, le couteau à peindre remplace la brosse avec autorité. La pâte est généreuse, la touche est large, comme jetée : il n’y a aucune hésitation. L’harmonie vient du mariage des couleurs et de leur complicité. La vibration, elle, vient du ton sur ton : les notions de valeur et de nuance prennent ici tout leur sens.
Toute l’œuvre de Gœdgebuer est là, dans la couleur, dans son amour inconditionnel pour elle. Mais je comprends aussi l’importance du dessin dans la création picturale. Ses dons de dessinateur lui permettent une architecture sans faille pour ses toiles aussi bien que pour ses dessins, ses pastels ou ses gravures, témoins de sa force créatrice dans des domaines plus calmes, plus adoucis, plus apaisés.
Je me sens en accord avec cette traduction sensible de la réalité. Cela correspond tout à fait à ce dont j’avais envie confusément. Désormais, je ne percevrai plus les choses de la même façon. Michel va m’enseigner plus que la technique de la peinture. Il va m’apprendre mon métier de peintre et me montrer une façon de voir et de transposer mon univers en couleurs. Désormais, j’en ferai la base de mon parcours personnel.
Bernard RYON