Le thème donne un faux air de palais des métamorphoses à ce Salon 2017, kaléidoscope de formes et de couleurs.
Le pur plaisir de la métamorphose, c’est dans les œuvres les moins figuratives qu’on le perçoit le mieux : il réside dans les tracés, calculés ou non, de lignes capricieuses sans début ni fin, dans le chatoiement et les arcs-en-ciel de couleurs, les figures graduellement mutantes, les formes et volumes qui s’enchaînent en se modifiant, s’imbriquent ou se désimbriquent. Toutes ces variations plaisent aux yeux et à l’esprit. De nombreuses œuvres, conçues en polyptyques, veulent capter la transformation en cours : de volet en volet le regard transite d’une étape à une autre.
La métamorphose est partout. Il suffit d’un masque, un papillon, un coup de peinture, une cure d’amaigrissement ; l’eau se change en vapeur, le papyrus en papier, le danseur évolue en perpétuel devenir. Les mythes, les contes et la fantaisie imaginative abolissent à qui mieux mieux les frontières entre les règnes, entre les espèces. Que d’avatars pittoresques ! La femme est fleur, chat, papillon, oiseau, poisson, écorce et feuillage, elle se démultiplie en nuages pluvieux ; l’homme se fait zèbre, arbre, éléphant, libellule. Relié aux esprits de la nature, le chamane présente des traits animaux. Des arbres dans le malheur fraternisent du regard, le rhinocéros est un respectable citoyen, le chat porte une fraise, le singe a des yeux plus humains que l’humaine. Mouettes, tortues et poissons échangent leurs formes au sein d’un bleu aussi céleste qu’aquatique, et les silhouettes animales et humaines se confondent dans un grand continuum.
L’esprit de la métamorphose est éminemment variable. Narquoise, elle sourit des convictions politiques par trop… rhinocériques, moque les plagistes pourvus de nageoires, de bébés poissons, équipés d’accessoires qu’un long usage a incorporés. Souvent le changement de forme transfigure : il est mouvement d’élévation poétique et spirituelle vers la lumière, envol de fleurs, d’ailes diaphanes, de formes légères. Quand les visages se déforment, quand les mains sont des crabes (ou l’inverse), quand le pied est une main (ou l’inverse), il se crée un climat inquiétant de fantastique, qui débouche sur le cauchemar. Certains artistes restent dans le réel et dénoncent de hideuses métamorphoses, où la transformation est proprement une dénaturation. C’est la désertification qui voue des pêcheurs à l’errance, la défiguration des hommes en chiens de guerre, le tsunami d’ordures qui menace de submerger le monde, la sarabande destructrice de saisons en folie autour d’arbres condamnés. Une humanité de ciment et de chaux accouche monstrueusement de déchets empoisonnés, au lieu d’assurer la perpétuation de la vie. Héritage sans héritiers…
La métamorphose est toujours une mise en scène du temps, ce grand alchimiste. La transformation cosmique de la matière prend l’aspect d’une mutation explosive et violente. Elle a engendré les sphères astrales, ici traduites en animaux et personnages du zodiaque. C’est une lente métamorphose, cette fois géologique, d’êtres nés de la mer et devenus fossiles, qui a créé le milieu favorable à notre vie. Le transformisme darwinien commande l’évolution des espèces, et donne espoir au gecko qui aspire à voler. A une échelle plus humaine, c’est l’enfant qui se mue en adulte, l’écolier mal dégrossi qui se déniaise. Quelques squelettes çà et là rappellent la métamorphose ultime. Cinquante ans passent, et voilà la star arrachée à son apparente immortalité : anneaux et tatouages la convertissent au goût du jour. Dans la nature régie par des changements cycliques, les cocons et les chrysalides, immobiles et fragiles, recèlent d’invisibles mais vertigineuses gestations. Rapide est le voyage dramatique de la fleur, qui évolue en quelques phases du bouton à la splendeur puis à la flétrissure. Une grande métamorphose rythme chaque journée de notre instable existence. Ainsi, dans un esprit plutôt abstrait, un miroitement d’éclats colorés évoque le déclin de la lumière, évoluant en cercles concentriques de coloris chauds à des tons froids et sombres. Plus explicitement, un même paysage toulousain présente en diptyque ses deux faces diurne et nocturne. Au milieu de murs percés de fenêtres, une passerelle, allégorie de la métamorphose, relie les intenses couleurs du jour éclatant, aux séduisants et troublants mystères de la nuit.
L’attention se porte aussi sur de subtils changements, tenant à des nuances imperceptibles. Comme pour les fugaces reflets dans l’eau, toujours différents quoiqu’à peine différents, on passe d’un visage de poupée à l’autre, d’un jardin délicat, d’une ombre évanescente, d’un instant fugitif à l’autre. Car l’être, coupé de l’absolu, voué à l’impermanence, est en perpétuel devenir et se modifie au gré de l’instant. L’identité elle-même peut vaciller. Comme dans le songe chinois où l’on ne sait qui est le rêve de qui, un dictateur se rêve en papillon attiré par le rouge sang, papillon cruel dont il est peut-être lui-même le rêve… Celui qui dans ses voiles hésite entre deux genres se trouve – sera peut-être – le siège d’une transmutation de son identité profonde.
Les artistes ne manquent pas de souligner que l’œuvre plastique est par nature métamorphose, et même métamorphoses ; leur regard subjectif transforme et réinvente le réel (pourquoi ne pas teindre en bleu pastel le canal du Midi ?). Un parcours labyrinthique mouvant et bariolé dessine les cheminements complexes de l’esprit créateur. Dans le but avoué de déguiser la réalité, l’artiste met en œuvre des stratégies indirectes – énigmes, symboles ou métaphores – grâce au support d’objets multiples et divers – poupées, clés, fleurs etc. sans oublier la charnelle tulipe… ! – Enfin le plasticien opère la transmutation des matériaux qu’il emploie : sous ses doigts le papier se fait tissu végétal ou animal, les lames d’acier prennent la douceur des courbes féminines.
Le visiteur de son côté participera aux métamorphoses. L’artiste a laissé des blancs : au spectateur d’être créatif et de placer sur la toile – et dans sa tête – les couleurs de son choix. On peut aussi feuilleter un album, ou manipuler des panneaux et faire succéder la vague au calme de la mer. Un tour de manivelle, et les molécules chimiques se recomposeront autrement, illustrant la grande loi de la nature selon Lavoisier : «… tout se transforme ».
N’est-ce pas la devise même de notre Salon ? Fidèles à l’esprit du thème, détournons sans vergogne, au profit des artistes, cette formule de chimiste. Quel créateur ne rêve pas d’égaler Picasso le magicien ? Picasso, capable non seulement de modifier les formes, mais de transmuer le tragique et l’horreur de la vie en œuvre forte et belle, comme dans Guernica.