Photo de Toulouse

COSA DHERS

Cosa Dhers

Une magicienne. Pas seulement celle qu’elle a été très tôt et longtemps, sur scène, dans les illusions d’ombres et de lumières, de dissimulations et travestissements, dans les métamorphoses, à jouer les Femmes Zigzag. Mais encore une magicienne de la parole, une parole chatoyante, enjouée, rieuse, amusée d’elle-même, et soudain, comme un éphémère nuage devant le soleil, effaçant avec un semblant de désinvolture ce qu’elle vient d’énoncer, contestant dans l’instant le peu de réalité de ce qui paraissait pourtant si véridique. Cet entretien fut-il alors « un jeu de semblant », un lieu « d’échanges fantasmatiques », une « communication se suffisant à elle-même », une « jouissance du langage », ou même « un soliloque » ?
En quelque sorte un tour de cette autre prestidigitatrice que les métaphysiques indiennes nomment Mâyâ ?...
Nous voici, cette fois, non pas dans un atelier, mais dehors, au jardin, assis autour d’une table, sous les branches d’un arbre, à la pleine lumière du jour. A distance de tout tableau. Et le jeu, dont Cosa Dhers parlera souvent dans notre entretien, le jeu où elle se risque dans l’élaboration de sa peinture, elle nous en fera vivre toute la vivacité dans sa conversation avec nous. Quant à ses éclats de rire, ils sont tout le contraire de ces parenthèses dans lesquels notre transcription les a pauvrement enfermés. Ils apparaissent, disons-le, comme de solaires instants de vérité, si l’on s’obstine malgré tout à recourir à ce terme.


Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Comme souvent, ma première question sera : comment c’est venu, la peinture ?

Cosa Dhers D’un point de vue historique, je suis fille d’artistes sur quatre générations. Donc l’art, je suis née dedans. Mon grand-père était pianiste, peintre, poète. Mon père était magicien. J’ai fait dix ans de la magie de scène. Ma mère nous accompagnait. Un arrière-grand-père, le père de mon père, magicien, sa femme chanteuse, disque d’or des années vingt ou trente. Arrière-grands-parents décorateurs. On est classé naturellement, socialement, dans la catégorie des "artistes". Donc ce n’est pas un choix, ce n’est pas une illumination, ce n’est pas une trajectoire induite, en tout cas c’est depuis tellement longtemps que je n’en ai pas les ressorts.

Jean-Jacques Dorne Mais alors, quand as-tu pris les pinceaux ?

Cosa Dhers La peinture, je ne sais pas … J’ai des souvenirs d’enfant, je dessinais, je m’ennuyais beaucoup, donc un enfant qui s’ennuie c’est un enfant qui dessine. Je crois que c’est aussi simple que ça. Et puis l’environnement artistique a probablement voulu qu’on s’intéresse à mes dessins pour me faire valoir auprès de mes grands-parents et parents et autres. Je continue à dessiner.

Jean-Jacques Dorne Comme études, tu as fait les Beaux-Arts ?

Cosa Dhers

Cosa Dhers Comme je dessinais depuis l’enfance, que j’avais du goût pour cette activité et aussi apparemment des potentialités, je me suis inscrite après le bac aux Beaux-Arts. Deux inscriptions : une en fac de Lettres et une aux Beaux-Arts. C’était en 1975. La décennie 70 est une décennie charnière parce qu’on est en marche vers un monde relativement énigmatique. Il y avait une recherche authentique de mises en formes nouvelles, d’expressions nouvelles. L’art contemporain était vraiment en train de prendre la mesure de sa contemporanéité. Pour ma part j’étais, pour des raisons probablement psychologiques, extrêmement conventionnelle. Je suis arrivée là avec un désir de dogmatisme, d’apprentissages appliqués et un amour d’artistes éminemment figuratifs pour les géants de l’art. Michel-Ange, par exemple, me donnait le grand frisson. Je trouvais qu’il avait une façon incroyable de traduire les corps, j’y trouvais un langage qui me portait. En tous les cas, ce n’était pas le langage à avoir. Au bout d’un trimestre, un élève a eu sa notation en U.V. Couleur. Il a été noté 18 - je m’en souviendrai toujours - c’était une note formelle, un formalisme, portée sur un acte qui, lui, ne l’était pas du tout puisque cet élève s’était défroqué et avait pissé contre le mur de la classe. Ovationné par les élèves, par le prof. Je n’ai rien compris, j’étais désappointée, déçue. Mais pas au point de dire « ils ont tort et moi j’ai raison ». Déçue au point de dire « je ne comprends pas ». Et j’ai mis 40 ou 50 ans avant de comprendre. J’avais dix-huit ans à l’époque. Quarante ans avant de comprendre ce que ce gosse avait fait et avant de me réconcilier avec cet acte qui m’a quand même détournée du destin d’artiste auquel j’étais naturellement plus ou moins promise. Désappointée parce que j’avais fait en parallèle une inscription à une Université de Lettres, j’y ai passé ma vie et j’y suis encore. Ce pipi a été à l’origine d’un destin, finalement !

Jean-Jacques Dorne Oui parce que, comme tu le dis, dans les années 70 on était en pleine révolution …

Cosa Dhers

Cosa Dhers … déconstruction, c’est cela …

Jean-Jacques Dorne …c’est sûr que si tu venais avec l’image de Michel-Ange …

Cosa Dhers …oui, et puis naïvement, on veut « bien » dessiner. L’idée que l’art puisse se penser, se réfléchir, m’est venue beaucoup plus tardivement. Là, j’avais envie de bien dessiner, je n’étais pas du tout dans le lâcher-prise, j’étais dans une sorte de faire-valoir académique parce que je savais assez bien le maîtriser, donc c’était une position très naïve, immature.

Jean-Jacques Dorne C’était en décalage avec l’époque mais ça pourrait revenir à la mode. Alors, désappointée par l’enseignement artistique, qu’est-ce que tu fais ensuite ?

Cosa Dhers Je suis vraiment désappointée parce que, mise à part cette voie-là, celle que mes aïeux me montraient, je ne voyais pas ce que je pouvais devenir. Alors je suis restée dix ans à la fac. J’ai fait une licence d’histoire, un doctorat de géographie, commencé un doctorat en sociologie, fait la fac de droit, Sciences-Po. J’ai été une universitaire acharnée. J’ai toujours fait deux facs à la fois, plus le métier d’artiste en même temps, donc je ne faisais que bosser. Artiste magicienne, je faisais jusqu’à cent spectacles par an, avec mon père puis sans lui, j’avais une tournée à diriger. Donc j’étais artiste de scène et accessoirement universitaire, mais toujours sur deux facs. C’était boulimique.

Jean-Jacques Dorne En réalité tu étais en recherche.

Cosa Dhers

Cosa Dhers Oui, ou en trouvaille(s). Parce que je retourne à la fac ! Je viens de faire une inscription en Master. C’est mon creuset, mon atelier aussi. Quand je suis à Jean-Jaurès je rentre chez moi. Je vais vers les Humanités, vers l’apprentissage, vers les questions auxquelles je ne donnerai jamais de réponses. Je pense que j’avais trouvé. La recherche est venue ensuite, la recherche de l’amour, du mariage, de la carrière, du métier, de l’identité sociale. Là, oui, c’était la recherche. Mais être apprenant, pour moi, ce n’est pas une recherche, c’est un état.

Jean-Jacques Dorne C’est amusant parce que moi j’aurais inversé. Le mariage et tout ça, j’aurais trouvé tandis que pour le reste j’aurais été en recherche … Mais alors, la peinture ? Quelle a été ta démarche picturale ?

Cosa Dhers Ce désappointement aux Beaux-Arts, c’est un vrai désappointement. Je n’ai plus le temps, puisque je fais deux facs, la magie, et en recherche de rencontre sentimentale décisive. Je ne dessine plus. Je n’avais pas encore peint. Je ne peignais pas, je ne faisais que du dessin. Pendant dix à douze ans j’ai oublié ce goût, cette aptitude. Donc je m’engage vraiment dans les sciences humaines. Les arts de la scène et la recherche universitaire ça peut « suffire » … Et puis c’est à la suite d’un divorce que je suis revenue au dessin. Et je m’y suis plu parce que j’avais peut-être intégré ce que pouvait être un certain lâcher-prise. C’était très sincère et beaucoup plus inscrit dans le présent que quand j’étais adolescente, quand j’étais dans un fort passéisme. Et là je n’ai plus décroché.

Jean-Jacques Dorne Qu’est-ce que tu dessinais ?

Cosa Dhers Comme je m’y remettais, je dessinais beaucoup de corps, la chair c’est quand même …

Jean-Jacques Dorne … c’est Michel-Ange encore …

Cosa Dhers

Cosa Dhers … bien sûr, c’est la viande, je dis bien la viande parce que c’est le côté majestueux d’un corps qu’on désire, ou alors le côté mortifère, le côté poussière, déchéance. Tous ces aspects multiples du corps. Et puis probablement aussi parce que, quand j’étais gosse, j’aimais Michel-Ange donc j’avais appris à le dessiner aussi, il y a cet accès à la facilité aussi. Je l’ai dessiné de façon torturée. Il y avait un peu du Schiele. Un peu de Lucian Freud.

Jean-Jacques Dorne Tu dessinais au fusain ?

Cosa Dhers J’ai dessiné au fusain, au crayon, et assez rapidement j’ai dessiné avec des pastels, des petits pastels gras, parce que ça donne des touches assez immédiates, on peut sculpter des formes.

Jean-Jacques Dorne La couleur n’était pas présente ?

Cosa Dhers Très peu au début. C’était dans les beiges, les noirs, les ocres, des couleurs très terreuses

Marc Nayfeld C’était exclusivement le dessin.

Cosa Dhers Oui, la touche est venue avec le dessin, mais la touche colorée quand même parce que dans les couleurs brique, rouille, marron, dans les ocres, il y a des nuances infinies à donner. C’est le pastel gras qui m’a procuré ça. J’étais en train de me décaler sur la peinture.
Donc, je divorce, je commence à faire des trucs toute seule, j’ai très peu de retour dans mon entourage immédiat, les expositions n’étaient pas du tout à l’ordre du jour. C’était une réconciliation avec quelque chose que j’avais oublié, qui avait grandi, qui s’était modifié sans que je le sache et qui me permettait de … de soutenir une situation chagrine, voilà. Et après un laps de temps de deux ans, le premier mari étant définitivement abstrait de mon existence, il a bien fallu que j’en trouve un second. Et le second, je l’ai recherché - à l’époque c’était relativement rare …

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Tu l’as cherché ou trouvé ?

Cosa Dhers Non, je l’ai cherché, j’ai mené sans romantisme une recherche par annonce. Je dis ça parce que ça a un lien avec l’art, autrement ma vie perso …J’ai résolument cherché l’âme sœur au profil adéquat, c’était aussi froid que ça, en étant sûre que je pouvais le trouver. Et j’ai un peu tâtonné pendant deux ans jusqu’au moment où j’ai eu la lumière et j’ai dit « voilà le profil adéquat!... c’est que je suis profondément artiste et non pas universitaire. Et je veux rencontrer un artiste ». Et j’ai écrit une annonce : « jeune artiste - 30 ans - rencontrerait artiste ». Et ça a très bien marché puisque j’ai rencontré l’homme de ma vie qui est effectivement un artiste de métier et qui m’a dispensée de cette recherche éternelle du grand destin amoureux. Là, pour le coup, je l’ai trouvé. Il y avait cette conviction que mon identité pouvait se raconter aussi simplement que celle-là et que l’adéquation passerait par quelqu’un qui serait effectivement en similitude avec mes goûts et les caractères essentiels de ma personnalité, et cela a marché du feu de Dieu. On parlait tout à l’heure du processus d’identification, le fait que l’on s’attribue le qualificatif d’artiste, ce n’est pas rien. Moi je veux faire entendre que cela s’est produit de façon naturelle, ou factuelle, mais c’est une espèce de déduction. Je réamorce une pratique artistique autre que la scène et j’en perçois - naturellement, encore - le confort. Je veux dire, c’est simple, c’est juste comme un chien ou un chat qui cherche le bon coussin, le bon endroit où il va dormir. Je crois que c’est de cet ordre-là, parce que ton histoire, ta fantaisie, te conduisent vers ces choses-là.

Jean-Jacques Dorne Tu es dans le milieu artistique, pour toi c’est naturel et normal que tu continues dans le milieu dans lequel tu es. Tu n’es jamais entrée en révolte contre ça.

Cosa Dhers

Cosa Dhers Non, si mon père avait été ouvrier, je le comprendrais, je serais peut-être devenue bobo ou syndicaliste, je ne sais pas, il n’y a pas d’histoire de classe. Être artiste de scène comme je l’ai été, c’est terrible, parce que j’ai mené la vie de cirque. J’ai commencé à travailler j’avais 9 ans, et j’ai vraiment travaillé très dur à partir de l’âge de 15 ans. C’est très dur, très dur, et humainement et physiquement. Mon père avait un prix mondial de magie, mais j’ai cependant travaillé dans des milieux qui étaient quand même très durs, très durs, j’étais très malheureuse, très malheureuse de travailler "là-dedans". Ce n’était pas mon truc, en plus mon père était un géant. J’avais mon spectacle bien sûr, mais à côté d’un géant … Tu ne peux pas remettre en question ce qu’un grand artiste, admirable, va imposer comme labeur. Tu ne peux que t’y soumettre, en être malheureuse, c’est beau, c’est grandiose, les autres ne le font pas. On est dans un domaine d’excellence. Moi et la magie ce n’était pas mon creuset, je l’ai faite parce que je faisais gagner de l’argent à mon père et que j’en gagnais moi-même, mais on ne peut pas être en réaction contre le beau, le génie, le talent. Tu peux être en réaction contre un patron, contre Dieu, mais pas contre un papa quand même ! (rire)

Jean-Jacques Dorne Ça ne t’écrasait pas. Mais tu as cherché à te réaliser ailleurs.

Cosa Dhers

Cosa Dhers Oui, au niveau universitaire. Mais j’étais en recherche plutôt de tranquillité. Un cursus c’est apaisant, c’est extrêmement confortable. On pourrait l’opposer à l’art, parce qu’il y a un cheminement prévisible. L’investissement travail, l’investissement talent trouvent un résultat prévisible. Dans l’art ça ne l’est pas. S’il y avait une disposition autre, elle s’est exprimée là-dedans. Mais ça n’a jamais été un processus conscient, c’est-à-dire que je n’ai jamais dénigré l’art. J’ai tout simplement pensé que peut-être la nature un peu anxieuse que j’avais se sentait mieux dans quelque chose de soutenu, dans une expression - artistique aussi, parce que la recherche c’est quelque chose de terriblement créatif - donc dans une créativité soutenue par des sciences et des rationalités, des "choses" qui proposent des repères, plutôt que dans des domaines qui n’en proposent pas. Mais ce n’est pas une critique construite, je n’ai rien à dire contre …

Jean-Jacques Dorne … oui, ce n’est pas une révolte …

Cosa Dhers …ah pas du tout, non, non …

Jean-Jacques Dorne donc c’est le moyen de pouvoir s’exprimer …

Cosa Dhers …en plus je n’ai jamais fait la différence entre les deux. On est créatif si on fabrique quelque chose d’authentique. On se présente un peu toujours en grande vulnérabilité à partir du moment où on propose quelque chose de très singulier, de très personnel, de très subjectif. C’est valable dans le domaine de l’art de la scène, des arts visuels, et dans le domaine de la recherche scientifique. Cette présentation fragile que l’on a de soi-même, elle se fait sur ces trois tableaux-là de façon équivalente. On n’est pas dans l’exécution, on est dans la proposition.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Sur la tranquillité des études, je suis d’accord. On a un cycle, on a quelqu’un qui nous encadre, qui nous accompagne, donc c’est confortable. Par contre la peinture c’est plutôt inconfortable. Quand tu es devant ta toile, c’est loin d’être confortable. Être conforté à la peinture, c’est être conforté à soi directement, dans ce qu’on a de plus intime et dans ce qu’on veut exprimer et qui n’est pas très facile à faire.

Cosa Dhers Oui, mais une mauvaise note est plus catastrophique qu’un mauvais tableau. Un mauvais tableau c’est une déception mais elle fait partie du risque. Si les études sont prévisibles, si c’est ce qui rassure, normalement on a une correspondance entre l’investissement travail et le résultat, qui est plutôt positif. Il y a une relation de cause à effet qui reste en cohérence. L’art pictural, la page, c’est imprévisible. C’est le jeu, tu ne vas pas jouer et te décevoir dans ce jeu, sinon ce n’est pas cohérent. Tu joues, tu gagnes, tu es content. Tu perds, tu l’es moins, mais tu récidives, avec un enthousiasme même addictif. C’est un renouvellement de l’expérience, un désir de renouvellement, mais la déception dont tu parles je ne la connais pas. Exprimer ce qu’on a à exprimer, je ne l’ai jamais fait , c’est tellement énorme ce qu’on aurait à dire, ce qu’on peut faire c’est toujours en-deçà …

Jean-Jacques Dorne … je n’ai pas dit déçu, j’ai dit que c’est difficile. La déception, c’est autre chose. C’est pour ça d’ailleurs que tu as parlé de mauvais tableau. Tu en as produit ?

Cosa Dhers Oh plein ! Je ne suis pas la seule, et je l’assume ! Ça c’est mon côté traditionnel, conventionnel, Michel-Ange … (rire)

Jean-Jacques Dorne Et comment tu sais que c’est un mauvais tableau ?

Cosa Dhers Oh là là ! Justement c’est toute la difficulté ! Alors comment je le sais ? Ce n’est pas du registre du savoir, c’est plus savoureux que le savoir, c’est le registre de la certitude, partagée ou pas d’ailleurs (rire). Mais quand je vois une croûte, je suis intimement persuadée qu’il s’agit d’une croûte.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Pour les autres, mais pour toi ?

Cosa Dhers Exactement de la même façon, évidemment je suis plus intransigeante avec moi.

Jean-Jacques Dorne Mais tu as déjà montré tes mauvais tableaux ?

Cosa Dhers Montré ? Oui, oui, on peut les montrer, mais on dit "je vous montre une merde" …

Jean-Jacques Dorne … mais exposés ?

Cosa Dhers De mauvais tableaux ? Si je dois réexposer mes toiles aujourd’hui, je considérerai que ce sont de mauvais tableaux. Je ne suis plus celle qui exposait avant, donc je me juge comme étant insuffisante. Maintenant j’ai des exigences telles que je n’arrive plus à les satisfaire. J’ai un sens critique tellement aigu!... comment ne pas faire de mauvaises toiles?... je ne sais pas … Alors on se calme, ma petite, on devient simple, tranquille, moins présomptueuse, moins facétieuse, on fait puis on la boucle. Je veux bien - c’est ce que je vais faire d’ailleurs - ne laisser parler que le désir et me remettre à la pratique. Mais est-ce que je vais faire un bon truc ? Non, ce sera très, très en-deçà de ce que l’art m’a révélé de lui-même, de ce que je pourrais en attendre, si tant est que l’art existe aussi, ça c’est autre chose. En tout cas je ne vais pas m’épater, c’est certain (rire).

Jean-Jacques Dorne On sent chez toi un niveau d’exigence énorme, extrême.

Cosa Dhers Oui … Ce que je trouve dans mes anciens tableaux, c’est qu’il y a une espèce de fraîcheur que je n’ai plus, ils ont cette puissance de la naïveté. C’était très joyeux, il y avait des ingrédients subtils et agréables que j’ai définitivement perdus.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Tu parles de quels tableaux ? Les animaux, par exemple ?

Cosa Dhers Voilà. C’était joyeux, c’était rigolo, il y avait de l’humour, de la dérision …

Jean-Jacques Dorne … et tu ne pourrais plus faire ça aujourd’hui ?

Cosa Dhers Non, je ne sais plus le faire. Dérision, humour, j’arriverais peut-être à … oui, ça pourrait m’aller comme une expression artistique banale, c’est dans le « peut aller », dans du "correct". Maintenant je vais faire des trucs qui relèvent de la déco, enfin... c’est sans conviction. Je vais me remettre un peu à la peinture, c’est triste à dire, comme on se remet un peu à la décoration, à la broderie, au tricotage. Mais c’est sans l’illusion d’extirper de moi cette expressivité souveraine, cette jouissance, celle du dépassement, de l’étonnement, quand on se dit « tout de même là c’est pas mal ».

Jean-Jacques Dorne Tu n’as pas envie de te surprendre, alors ?

Cosa Dhers Je me surprends ailleurs, mais pas là.

Jean-Jacques Dorne Où ça ?

Cosa Dhers Je me surprends quand je comprends des idées compliquées. Quand j’apprends quelque chose je me surprends. Apprendre, pour moi, c’est aller au-delà de soi, s’enrichir. C’est cette jouissance-là qui me plaît beaucoup plus que celle d’une critique qui me serait favorable devant une toile. Je suis désabusée là, vraiment désabusée.

Jean-Jacques Dorne Mais quand tu fais une toile, tu peux apprendre aussi, non ?

Cosa Dhers

Cosa Dhers C’est pour ça que je me remets au travail. Avec cette envie, non pas de me surprendre mais avec l’envie de la surprise, ce n’est pas du tout pareil. Sur moi, ce que j’aurais à dire, je m’en fous. Ça a l’air important, j’aime m’écouter parler, ça se voit, ça s’entend, mais c’est un jeu qui me séduit moyennement. Ce qui me plaît surtout, c’est d’écouter les autres, de les recevoir et de faire en sorte que les autres me surprennent. Me surprendre moi-même, non. Par contre faire des choses auxquelles je ne suis pas habituée, avoir des trouvailles, voilà, avoir des trouvailles. C’est pour ça que mon vocabulaire sera plus prosaïque. Le processus? C’est le même, mais je n’ai pas envie de déclamer des choses artistiquement. Par contre faire un truc sympa, que j’aurai plaisir à présenter, quelque chose de joli, d’intéressant. Peut-être que ça va en surprendre d’autres, d’ailleurs … (rire)

Jean-Jacques Dorne Je suis allé voir ton site, et puis on avait vu quelques toiles chez toi. Il y a quand même des toiles qui me semblent très fortes, avec des personnages, des situations qui m’interpellent, me questionnent.

Cosa Dhers Alors, ce qu’il y a d’intéressant sur l’ensemble de mon travail?... Il est disparate... c’est que je n’ai jamais abandonné le pastel gras, avec une expression très abstraite. C’est enlevé, c’est joli, je ne suis pas coloriste mais c’est le pigment qui fait la couleur. Et dans la figuration? c’est peut-être ça qui rend mes toiles intéressantes, je ne veux rien raconter. Je veux être un peu en dehors du temps, en dehors des situations, en dehors de quelque chose qu’on puisse comprendre. Je cultive l’énigme. Donc il y a toujours quelque chose d’un peu étrange, sans tomber dans l’anachronisme ou le surréalisme, mais - légèrement – en proposant des situations possibles mais improbables qui permettent de ne pas trouver grand-chose si ce n’est l’énigme d’un personnage, ou de plusieurs, qui te regardent, qui t’observent, comme les animaux. Les animaux étaient peut-être plus attachants.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Je pense aux vaches, le regard des vaches. J’ai rarement vu un regard de vache comme ça.

Cosa Dhers Voilà, c’est ça. Le regard, justement. C’est le tableau qui t’interroge. C’est ça qui est intéressant. J’interroge le monde, je ne suis qu’interrogations, que questionnements. C’est la posture que j’aime, celle du questionnement. S’ouvrir au monde, interroger le monde avec cette désespérance de ne jamais rien y comprendre. La joie de pouvoir s’y surprendre lorsqu’on croit y avoir pris une information en sachant que cette information va en appeler une autre. Et dans la peinture, je voudrais que mes tableaux, à minima, témoignent de ça. Qu’on y trouve des personnages qui te questionnent. C’est effectivement ça qui est le plus récurrent. C’est probablement mon thème, celui de l’énigme, celui de la question.

Jean-Jacques Dorne Quand tu prends un pinceau, si on se met dans les dispositions que tu dis, ça doit être une tension assez forte.

Cosa Dhers Oui, sauf avec l’abstrait, avec les pastels gras, ça glisse... c’est génial! tu t’arrêtes quand tu trouves que c'est beau, comme font beaucoup de peintres abstraits. Si tu te trompes, tu as tout faux Le tableau se vend. Voilà. Mais dans la figuration, c’est une sanction terrible …

Jean-Jacques Dorne … et dans la composition …

Cosa Dhers … et dans la composition, et dans les éléments que tu introduis. C’est très réfléchi. C’est comme en philo. Quels sont les termes de la question que je pose ? Oui, c’est très tendu.

Jean-Jacques Dorne Quand est-ce que tu te mets à peindre ?

Cosa Dhers

Cosa Dhers Il y a d’abord l’évocation d’une scène, l’envie de représenter quelque chose, la mise en place imaginaire. C’est curieux, c’est presque sensitif. Avant que l’image des personnages ou des situations n’émerge, c’est le climat d’un tableau qui se dessine sans qu’il y ait quoi que ce soit de reconnaissable. Donc c’est très, très confus. Et puis après, alors là c’est très agréable, c’est de l’ordre du plaisir émergent, c’est en toi, ça vient, ça monte, il n’y a pas d’images et là tu te heurtes à la première difficulté : cette chose-là, comment vais-je la raconter? En sachant que je ne veux rien dire, qu’il n’y a pas de narration. Et là, tu prends les idées dans le catalogue de tes pensées, tu ouvres le grand catalogue de tes pensées et tu vois quel sera l’objet ou le sujet qui portera le mieux ton propos. Propos confus, sans image. Inévitablement on trouve. Une fois qu’on a trouvé, il faut la taille, il faut des couleurs, il faut l’atmosphère, il faut aiguiser ton sujet, le composer, le mettre en œuvre mentalement. Une fois qu’il est mentalement posé, à ce moment-là, la toile, tu la restitues. Quand je restitue la toile, en général elle est déjà faite intérieurement. Là j’ai déjà moins peur. Après, ce n’est que de la technique. Alors quelquefois il va y avoir une insuffisance, parce que quelquefois tu te goures complet.

Jean-Jacques Dorne Tu refais quand …

Cosa Dhers … oh non parce que ça prend énormément de temps. Je laisse tomber, la croûte existe, il y en a à qui elle plaît (rire). Ah oui, j’ai quelques croûtes monumentales!... Comme je peins en grand et que ça prend beaucoup de temps, ce sont effectivement des échecs. Mais ce sont des échecs de travail, pas des échecs d’artistes. L’échec d’artiste ne se situe pas dans le fait que tu loupes une toile.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Tu le prends comme une étape.

Cosa Dhers Oui. Alors après, tu cherches à comprendre ce qui, dans ta traduction - de formes, de couleurs, de taille, d’objets, choix d’objets, etc. – tu tentes de comprendre ce qui fait que ça raconte trop. Tu fais une lecture de ton propre travail. Et après, évidemment, tu cherches à ne pas refaire les erreurs.

Jean-Jacques Dorne Là, ce que tu viens de nous décrire, les idées qui émergent, le catalogue de tes pensées, la façon dont tu vois les choses sur la toile, c’est pratiquement le principe de verbalisation.

Cosa Dhers C’est ça, c’est un langage, absolument. Je suis toujours dans le langage.

Jean-Jacques Dorne C’est une forme d’écriture.

Cosa Dhers Oui, c’est une "Expression".

Jean-Jacques Dorne Ce qui fait qu’il peut y avoir des ratures comme dans l’écriture. Le raté, c’est une rature que tu vas retravailler.
Alors tu nous l’as dit, et je répète là ce que tu nous as dit, tu parles « pour ne rien dire ».

Cosa Dhers Oui, qu’est-ce que tu veux que nous fassions d’autre en ce monde, si ce n’est être des hâbleurs …On n’est pas traversé de vérités! Quelle légitimité a-t-on pour dire une chose qui puisse avoir la prétention d’être autre chose qu’un semblant ?

Jean-Jacques Dorne Il y a un paradoxe là-dedans. Je parle pour ne rien dire …

Cosa Dhers …pas pour ne rien dire, je formule des questions …

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne … oui mais la finalité, c’est que, finalement, ça peut parler aux autres.

Cosa Dhers Mais les autres, tu crois qu’ils en disent plus que moi ?

Jean-Jacques Dorne Ça leur parle. C’est-à-dire que ce que tu ne dis pas leur parle.

Cosa Dhers Oui … ce que je ne dis pas leur parle … certainement … au même titre que leur silence me bouleverse parfois. C’est un jeu de semblant, le verbe ne conduit pas à autre chose qu’à des échanges qui sont fantasmatiques. Nous communiquons, certes, mais nous communiquons pour communiquer. L’acte seul se suffit à lui-même. Après, je crois que le contenu n’est pas important. C’est le désir de l’autre, la recherche de l’autre, qui est l’expression de son propre désir à être - ça c’est Lacan – on soliloque en permanence. Nous sommes des moulins à vent, on n’est même pas Don Quichotte ni Sancho Panza.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Alors comment tu peux expliquer que ça intéresse d’autres personnes ?

Cosa Dhers Parce que les autres moulins à vent font du vent aussi! Et si d’aventure leurs yeux croisent les miens, on va faire du vent ensemble! C’est tout! Sans savoir d’ailleurs la réalité même de l’autre... on n’en a même pas la conviction. L’autre c’est quand même le "grand abstrait", dans le sens philosophique du terme. Je suis un être divisé, et ce qui me manque c’est toi. C’est Toi. Et par là-même Moi. Le discours que je vous accorde là ce n’est que cette tentative vaine d’être vivante dans ma propre complétude. Je tente par ces mots de vous ramener à moi. Et vous êtes dans le même jeu. On le fait ensemble, si tant est que nous soyons là ensemble, ça c’est un autre problème encore. Si nous sommes là ensemble, on fait la même chose ensemble. Et l’art c’est la même chose. C’est l’appel désespéré vers Sa complétude. Bien entendu nous sommes fondamentalement destinés à ne jamais être un sujet en soi, nous sommes toujours des créatures divisées, martyrisées par notre conscience. C’est vain, tout est vain. C’est gesticulatoire. C’est le moulin à vent. C’est parler pour ne rien dire, effectivement.

Jean-Jacques Dorne Mais alors pourquoi on fait ?

Cosa Dhers Mais parce qu’on n’a pas le choix, on est vivant, on respire, le seul fait d’être au monde, et d’être humain, conduit à faire de la sorte.

Marc Nayfeld La première fois qu’on s’était rencontré, chez toi, ça avait fait partie d’un moment de notre discussion. Il y a une espèce d’énergie, de plein, dans ce rien.

Cosa Dhers Oui, oui …

Marc Nayfeld Tu disais « on ne peut pas faire autrement en tant qu’être humain ». Il me semble que j’ai une compréhension de ce « rien », mais il te porte quand même à prendre le pinceau. C’est un rien qui n’est pas rien !...

Jean-Jacques Dorne … et qui pousse à faire …

Cosa Dhers Alors voilà, c’est ce Rien et l’Action. Comment dirais-je ? Quelle pourrait être la métaphore qui puisse faire comprendre … la "volonté de puissance?

Jean-Jacques Dorne … dans le sens de Nietzsche ?...

Cosa Dhers

Cosa Dhers … oui. C’est parce qu’il n’y a rien qu’il y a invariablement l’aptitude à combler, ou la nécessité de combler. Si nous étions emplis de quelque chose nous serions probablement des créatures mortes. La vie puise son intensité dans le fait qu’elle se réclame elle-même et en permanence. C’est cette espèce de renouvellement moteur, de ton vide à combler qui te conduit à être inscrit avec cette conscience finalement parasitaire de l’instant présent. Plus le vide est savoureusement senti, plus la volonté de puissance peut s’exprimer et peut apparaître sous forme d’énergie. Plus le manque est grand, plus les choses à engouffrer pour réduire ce manque sont importantes.

Jean-Jacques Dorne La peinture alors, dans tout ça ?

Cosa Dhers La peinture c’est très bien parce que, l’une des façons de combler le manque?... C’est la recherche de l’autre! Et la recherche de l’autre se fait par la communication. Cette communication peut se faire par la musique, le sacrifice, la religion, l’art, tous les systèmes qui font qu’on va exprimer quelque chose dans un domaine donné, un domaine qui sera entendu.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne J’ai en tête une de tes toiles où il y a trois personnages féminins, deux femmes arrangent les cheveux d’une troisième. Cette toile, par exemple, qu’est-ce que ça comble ?

Cosa Dhers Je ne sais pas … je la trouve rigolote … oui, je l’aime bien celle-là …

Jean-Jacques Dorne Moi je ne la trouve pas rigolote …

Cosa Dhers … non elle est dramatique aussi … C’est une des dernières toiles que j’ai faite. La jeune fille qui se fait coiffer est sur un lit, un lit - sarcophage, qui est en train de prendre feu. Ce n’est pas l’image qui va combler, l’image peut être intéressante parce que la position de la jeune fille c’est un sacrifice. Je vais la refaire cette toile, les couleurs sont moches, j’aurais tellement aimé être coloriste !... Ce que j’ai voulu dire, mais de façon légère, c’est ce paradoxe de deux femmes qui caressent mais qui condamnent en même temps avec une cruauté déterminée, qui font très mal à cette jeune fille et la tuent. Je trouvais que dans ce paradoxe-là, entre douceur et cruauté résignée, il y a quelque chose de calme, d’alangui. Il y a une vague prière, on ne sait pas trop ce que cette jeune fille est en train de faire, en tout cas je ne donne pas cher de sa peau. A priori, elle est condamnée, elle va brûler dans cette espèce d’indifférence vaguement souriante, de paix absolue, dans la symétrie des deux femmes. On voit qu’il y a quelque chose de posé, de résolu, de déterminé, serein, indifférent, près et loin à la fois. Elles sont là, près d’elle et elles la caressent doucement, très doucement. C’est un tableau qui est silencieux et on voit qu’il y a quelque chose de … une promesse un peu inquiétante parce qu’une de ces femmes porte des épingles. Normalement on les met dans les cheveux, mais elle, elle se traverse le bras avec. Elle est indifférente, insensible. Et la jeune fille aussi, elle est insensible à son destin. Il ne se passe pas grand-chose, sa prière est molle, elle va partir, probablement brûlée, peut-être.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Eh bien, pour quelqu’un qui « n’a rien à dire » !

Cosa Dhers Je ne raconte pas une histoire, c’est factuel. Je ne raconte pas les personnages, je ne vais pas dire « la robe est rouge parce que c’est la promesse du sang ». Il y a juste ce jeu d’épingles, cette caresse, ce sont des attitudes.

Jean-Jacques Dorne Mais la mise en scène ?

Cosa Dhers Elle est peut-être trop lourdement narrative. Mais ce n’est pas le schéma narratif avec « il était une fois », il n’y a pas de situation initiale et une résolution. C’est très factuel, c’est une scène ambivalente entre douceur et cruauté. C’est tout.

Jean-Jacques Dorne Mais tu imagines bien que ceux qui la regardent peuvent construire une narration, des narrations multiples.

Cosa Dhers On peut laisser libre cours à toutes les interprétations possibles parce que j’ai voulu faire en sorte que les personnages en disent le moins possible. Là, il y a cette idée de cruauté douce, pour moi, qui est une évidence. C’est ce que j’ai voulu dire. Mais elles sont quand même énigmatiques. On ne sait pas trop qui elles sont. Mais peut-être que travailler l’énigme c’est aussi travailler la réponse.

Jean-Jacques Dorne Ceux qui regardent vont apporter des réponses. Plus tu enrichis l’énigme, plus les autres ont de réponses à apporter. C’est ce que j’aime dans tes tableaux.

Cosa Dhers

Cosa Dhers Oui c’est ça, ça me fait plaisir ce que tu dis, parce qu’effectivement, s’il y a quelqu’un à rencontrer là, c’est la personne qui interroge, qui ne peut pas faire autrement, c’est vraiment la source de mon être au monde. Là tu me touches vraiment, parce que c’est ça.

Jean-Jacques Dorne Et les prochaines toiles que tu voudrais faire ?

Cosa Dhers Je vais essayer de faire des choses qui relèvent de l’installation, je vais essayer de faire du décoratif, je vais essayer de travailler sur le totem et la sculpture.

Jean-Jacques Dorne Ton désir de faire de la décoration, c’est surprenant, non ?

Cosa Dhers Non, je veux faire des choses "jolies". Il y a pire, non, comme désir ?

Jean-Jacques Dorne C’est pour plaire ?

Cosa Dhers C’est peut-être aussi pour vendre.

Jean-Jacques Dorne Ah, pour vendre ? J’ai du mal à croire que c’est uniquement pour vendre …

Cosa Dhers Écoute, faire quelque chose qui soit bien et qui soit un produit vendeur …

Jean-Jacques Dorne …non mais ça c’est accessoire, tu peux le faire en plus !

Cosa Dhers

Cosa Dhers Accessoire, la vente ? Tu es romantique ! (rire) Je suis affreusement vénale, moi, j’aime beaucoup vendre ! (rire) Mon âme, je la vends au diable, d’autant plus que je n’y crois pas! Alors c’est bon (rire). Ah ! je ne sais pas... Je ne sais pas trop... Je me remets juste dans le bain. J’ai dit que j’étais un peu désabusée. Si j’arrive à avoir de bonnes surprises, à reconduire des toiles comme ça, ce sera bien, mais est-ce que j’aurai le temps, je fais tellement de trucs …

Jean-Jacques Dorne De toute façon, ça me semble inévitable.

Cosa Dhers Oui, j’aimerais bien que tu aies raison! Franchement j’aimerais bien! Cette toile [des trois femmes] est tellement en écho avec la façon dont j’aimerais peindre - sauf les couleurs qui sont … les couleurs, je ne sais pas faire. Pour le moment, je vais faire des bâtons colorés sous plexi, des trucs rigolos, je vais voir si ça marche, je réamorce le truc comme ça. Une idée d’objet, entre la peinture - ce sont des totems travaillés bien sûr au pastel gras - entre la peinture, la sculpture, l’installation, et après on voit.

Jean-Jacques Dorne Je pense qu’un jour le totem, la déco, ça va être le moyen de gestation qui va te permettre d’avoir le temps où tu vas recommencer les choses qui te tiennent à cœur.

Cosa Dhers Peut-être. En tout cas c’est ce que je préfère dans mon travail. Pour le peu que je sache de moi, si tant est que ce soit une identité, avec un caractère précis, c’est ce genre de toile qui fait écho en moi.

Cosa Dhers

Jean-Jacques Dorne Ce sont des toiles où il y a une âme.

Cosa Dhers Je suis d’accord. C’est bien que tu aies choisi cette toile [des trois femmes].

Jean-Jacques Dorne Donc on attend le prochain Cosa Dhers, qui est en gestation … dans une approche décorative … En tout cas, nous te remercions.

Cosa Dhers C’est moi qui vous remercie de me donner l’occasion de jouir du langage ! (rire)

Jean-Jacques Dorne Mais on a abordé beaucoup de choses !

Cosa Dhers On est allé en amont, oui, oui.

Entretien réalisé le 21/09/17 à Plaisance-du-Touch

COMME UN INTIME BÛCHER

</p><p><b><em>Marc Nayfeld</em></b> Cosa Dhers

C’est un soir d’or vieilli
Elles s’affairent absentes à elles-mêmes
Elles miment le mensonge
D’un théâtre de sommeil
Elles songent sans y penser
À la manière de crime
Bientôt accompli dans la clarté
D’un mystère sans révélation

Languissamment elles apprêtent
Amoureusement la mort
Cérémonial sans commencement
Silence des très riches heures
De la douleur impossible

Elles ont la parure d’un temps
Qui a cessé de passer
Elles savent - mais le savent-elles ?
Que tout restera immobile
Dans une guerre intime
Entre douceur et cruauté
Indifférence et bienveillance

Déjà le feu ordonne
Le plus vain des sacrifices
L’abolition d’une improbable
Malle aux trésors désormais promise
Au destin de nocturne sarcophage
Et même de la chaise enfantine
Fallacieusement protégée
Par la courbure d’une main

Déjà brûle la robe de la persécutrice
Déjà s’empilent les épingles impavides

Quant à la jeune fille
À la pensée trop lourde
D’une étrangère pâleur
Les yeux fatigués d’une voyance inutile
A-t-elle jamais attendu son heure
Sauvée sans qu’elle le sache
Dans l’indéfini suspens de la peinture ?
Son insoupçonnable sourire s’éteint
Comme une prière lente

Ce jeu indéchiffrable a pour lui
L’éternité d’une lame de tarot
Nous abandonnant à la finitude
D’un sentiment implacable et pur

NB « un sentiment implacable et pur » : expression d’Antonin Artaud, dans une lettre à Jean Paulhan, à propos de la notion de cruauté

Marc Nayfeld

Visitez le Site internet de Cosa Dhers:

Cosa Dhers
Haut de page