Photo de Toulouse

René IZAURE (1929-2014)

IZAURE

Il est des artistes qui marquent leur époque. René Izaure est de ceux-là. Loin de l’agitation vaine de notre monde artistique contemporain, il a su préserver sa particularité d’artiste confidentiel. Cette rareté assumée et voulue, il la doit sans aucun doute à sa sagesse d’homme des montagnes – ariégeoises bien sûr – faite de sérénité, de passion, d’énergie et d’humour.

En tant que professeur de dessin et de gravure aux Beaux-arts de Toulouse, il a insufflé un état d’esprit, une manière particulièrement approfondie d’appréhender l’art et la vie à ses étudiants. Ses ateliers ont été des lieux d’expérimentations techniques offrant tous les possibles aux artistes en herbe que nous étions. L’artiste est l’homme.

L’œuvre de René Izaure est une. Elle raconte la vie d’un homme tour à tour sensible, élégant, enjôleur, sérieux ou profond. Il est hors du temps, hors des modes. Par choix, il décline son travail autour du trait que ce soit en gravure (burin, pointe sèche), en dessin ou en peinture. Sa sensibilité s’adapte à l’outil, le geste est maîtrisé, le résultat semble couler de source, sans efforts, du moins en apparence.

Je voudrais tenter de vous emmener au-delà de cette apparente simplicité et facilité d’exécution à travers un dessin (parmi tant d’autres) dont le titre-poème évoque à lui seul l’homme : « La neige épaisse s’étend à l’infini et pèse sur l’arbre dans la montagne vide », dessin au crayon Wolff (marque de crayon carbone alliant la précision du graphite et la noirceur du fusain), œuvre sur papier de 1985.

Imaginez : un arbre vieux, peut-être un cyprès, s’ouvrant et ployant sous le poids de la neige fraîchement tombée ; à l’arrière, le léger voile d’une brume hivernale efface le paysage ; au premier plan, quelques ronces et herbes émergent de la neige.

Voyez : un carré de papier blanc, des traits de crayon Wolff, des zones de nuances de gris, de noirs, de blancs, des coups de gomme, quelques griffures et une organisation simple de la composition : une verticale, quelques volutes et un contrepoint pour mettre en valeur la verticale.

Éprouvez : une sensation de puissance, de calme, de douceur. Écoutez le silence. Prenez plaisir à refaire cette expérience avec d’autres œuvres : un paysage de Vicdessos ou de Rabat-les-Trois-Seigneurs, un lys, un insecte, une fouine, un rapace, tout semble simple, évident, tellement vrai au premier abord. Mais allez plus loin, ou plutôt plus près. Zoomez (comme il aimait à le dire), utilisez votre œil pour « espépisser » ce bout de papier parsemé de mille traits de crayon, de mille coups de gomme, de mille nuances de gris, de noirs, de blancs : alors tout un monde s’ouvre devant vous ! Voici un groupe de bûcherons, de promeneurs au milieu des forêts, ici un défilé d’insectes dans la brume brandissant des pancartes où l’on peut lire « No smoking ! », là des arbres à la ramure tortueuse pour mieux singer les hommes, là encore des rochers, des chutes d’eau ou des torrents (ceux de ses chères montagnes ariégeoises) aux graphismes rugueux qui sont comme de lointains échos à la peinture chinoise classique. Là-bas, d’ailleurs, il est très apprécié puisque « nul n’est prophète en son pays » !

Maître Izaure est un contemplatif, il observe le monde d’un œil à la fois critique et bienveillant, un peu comme ces ermites-lettrés sous la dynastie des Yuan en Chine au XIIIe siècle qui, en s’écartant de la vanité du monde, nous révèlent la beauté de la vie. Il nous invite par le regard et par l’esprit à nous évader de notre quotidien. Il est parti rejoindre discrètement ces nuages qu’il accrochait si tendrement à ses paysages. Il nous laisse ses œuvres magnifiques qui sont autant de sentiers à parcourir. À nous de tenter l’aventure.

Jean-Louis Rouget