Dès l’entrée, sur la gauche, un espace de séjour dans la pénombre avec au fond un comptoir où repose en éventail un jeu de cartes pour le prochain tour de magie, des statuettes, deux lampes faiblement allumées, une imposante collection de vidéos. A droite, un long corridor, étroit, fermé, sous la lumière artificielle, et le long de murs orange, une succession, des deux côtés, de tableaux figurant de jeunes femmes à la nudité offerte, malicieuse et amusée. A l’issue du corridor, on entre dans une pièce éclairée par l’unique porte-fenêtre, avec des tableaux rangés verticalement sur un côté, de l’autre trois chevalets, et quelques autres tableaux tournés vers le visiteur. Une rangée de tubes alignés méticuleusement sur une petite étagère, quelques pinceaux très fins, d’autres plus larges, deux assiettes contenant aujourd’hui l’une une couleur froide, l’autre une couleur chaude - un vert, un orange - un bain d’essence de térébenthine, et la spatule qui a servi à la préparation. Sur les murs, de nombreuses affiches d’expositions passées, le plus souvent à la galerie Palladion, et, sur tout l’espace disponible, des tableaux qui composent l’exposition intime du peintre, les œuvres témoins de son travail quotidien. La veille turbulente et exclusive des effigies féminines.
Camalot J’ai toujours plusieurs tableaux en cours, parce que je fais toujours plus de couleurs qu’il n’en faut, que j'utilise sur l’ensemble d'une série de tableaux et pas sur un seul. Et quand je trouve une association de couleurs qui me plaît, ça me permet d’avancer sur un groupe de tableaux.
Jean-Jacques le point commun, c’est la couleur ?
Camalot Effectivement, c’est la couleur. Pour chaque série de trois tableaux j’utilise deux couleurs dominantes, c'est à dire la couleur de la peau de la fille et la couleur du fond. Par exemple il y a une série de trois tableaux avec de l’orange et du bleu, une autre avec le mauve et le vert. Il me reste ensuite à choisir la couleur des cheveux.
Jean-Jacques Le point de départ c’est la couleur.
Camalot Non, le point de départ c’est le dessin. Les trois prochains tableaux seront faits avec la couleur mauve et la couleur verte. Les dessins, je vais les commencer bientôt. Mais je décide d’abord de la couleur, pour éviter d’utiliser la même couleur dans tous les tableaux.
Jean-Jacques Donc tu travailles par séries, et elles sont conditionnées par la couleur. Tu fais toi-même ta couleur ? Camalot Je la fabrique, je n’utilise pas les couleurs qui sortent du tube, je les « salis » un petit peu, je les « grise ». Je trouve que la couleur qui sort du tube n’est pas jolie, et il faut aussi harmoniser les couleurs sur un tableau. Si tu mets les couleurs de base telles qu’elles sortent du tube, même si tu essaies de faire des compositions chromatiques, ça ne fonctionne pas parce que tu as une couleur dominante. Tu as un fond, souvent, et des détails, et si la couleur dominante est forte, il faut que le fond soit faible ou inversement. La couleur est salie pour éviter des couleurs primaires trop… par exemple un vert trop vert, un bleu trop bleu.
Jean-Jacques Qu’est-ce que tu entends par « salir » une couleur ?
Camalot Je mets du noir dedans. Ça ne se voit pas beaucoup, mais les verts, les mauves et les bleus sont plutôt des gris colorés.
Jean-Jacques Alors, c’est un peu comme à Toulouse. Je voulais faire, pour mes volets, du bleu toulousain. On m’a dit : non, en réalité ce n’est pas du bleu, c’est du gris. C’est du gris dans lequel on met du bleu.
Camalot Oui, mes bleus c’est du gris dans lequel je mets du bleu, mes verts c’est du gris dans lequel je mets du vert, j’utilise même trois verts différents, et du mauve c’est du gris dans lequel je mets du rouge et du bleu.
Jean-Jacques Tu disais « je commence par le dessin ». Comment vient le dessin ? Camalot J’ai des séries de photos que j’ai faites avec des modèles. Là, par exemple, j’ai demandé aux filles de faire la grimace, crier, tirer la langue. J’ai travaillé sur une série de portraits et j’utilise ces photos. Je crayonne vite fait sur papier, je cadre la photo pour la composition et ensuite je reproduis ça en grand sur le tableau.
Jean-Jacques Tu les as, ces papiers ?
Camalot J'en ai quelques_uns, mais je les élimine une fois la toile achevée…
Jean-Jacques Attends, je vais essayer de te prendre en photo… non là je ne peux pas, tu es à contre-jour… voilà là c’est très bien…
Camalot Je crayonne, au départ, la toile est blanche. Après, je change beaucoup de choses pour avoir un rendu qui me satisfait. Après je fais la ligne noire, c’est-à-dire la ligne épaisse et ensuite je peins, c’est du coloriage, jusqu’à ce que l’aplat soit net. En général pour les couleurs fortes comme les bleus, les mauves et les verts, trois couches suffisent pour avoir un aplat d’aspect fini. Pour les couleurs un peu plus faibles et chaudes, comme les jaunes, les oranges, parfois il faut dix couches, parfois même plus. Tu vois, ici, les jaunes, à travers on voit le crayonnage d’avant, les choses que j’ai effacées, les reprises. Marc Ces tableaux sur les chevalets sont en cours ?
Camalot Oui, il y a trois tableaux en cours au niveau des couleurs, et trois autres sont en cours au niveau de la ligne noire.la ligne noire est faite en douze fois. Pour l’instant je n’ai fait que quatre séances, il manque encore huit séances pour les faire pleinement.
Jean-Jacques Qu’est-ce que tu entends par « huit séances » ?
Camalot La ligne noire telle que je la veux, il faut passer, repasser, repasser pour avoir l’épaisseur voulue, et il faut le faire douze fois.
Jean-Jacques J’ai fait du dessin pour des bandes dessinées : eh bien, pour faire une ligne et passer douze fois dessus, c’est un truc de fou, ça ! C’est très difficile à faire !
Camalot Oui c’est difficile ! Certaines lignes sont finies, mais d’autres non, si tu regardes de près. Mon expérience me montre qu’il faut douze fois.
Jean-Jacques Tu reprends avec un petit pinceau, alors ? Ça doit te prendre un temps fou !
Camalot Je passe ma matinée à ça. L’après-midi je vais marcher pour faire de l'exercice, et ensuite je me consacre à la magie, une autre de mes passions. Je peins le matin parce que le soleil donne sur la fenêtre et il y a toute la bonne lumière. Jean-Jacques Ah ! Tu aurais dû nous le dire !
Camalot Même s’il fait un temps de merde j’ai suffisamment de lumière pour peindre. Parce que j’ai besoin de la lumière naturelle. Quand je peins, il y a un aspect un peu brillant, je vois où je peux repasser tant que ce n’est pas séché. La lumière artificielle ne le permet pas.
Jean-Jacques On voit très bien qu’il y a des nuances.
Camalot Oui, pour cette peinture orange, il faut cinq ou six couches. Pour le moment, il n’y en a que trois.
Jean-Jacques Le plaisir pour toi, c’est le travail de la ligne noire ?
Camalot Je ne sais pas… c’est une fois que… que j’ai fait la deuxième couche. Quand j’ai fait mon dessin, que j’ai fait la première couche pour tout le tableau, pour le corps, pour le fond, les différents éléments, les cheveux, la première couche c’est vraiment pas joli. Quand j’attaque la deuxième couche, je commence à harmoniser les couleurs entre elles, donc je vais faire peut-être un fond moins intense, une peau peut-être un peu plus foncée. Quand j’ai fini cette deuxième couche, le tableau commence à venir, là c’est satisfaisant. C’est la première satisfaction. Une fois que j’ai terminé toutes les couleurs, ça devient un peu crado parce que la ligne noire est pratiquement effacée. Quand j’ai fait les quatre premières séances de la ligne noire, ça commence à venir. Là je vois si le tableau va me plaire ou pas. J’imagine au départ ce que ça va être, mais ce peut être mieux que ce que je pensais, ou moins bien.
Enfin… la première satisfaction, c’est quand une fille vient poser pour moi et que je vais la prendre en photo.
Jean-Jacques Alors pourquoi tu ne fais pas de la photographie ?
Camalot Je ne suis pas photographe. J’ai le désir de peindre. Et puis les photos que je fais ne sont pas composées. Jean-Jacques Oui, et il n’y a pas le trait…
Camalot Je travaille surtout avec des stripteaseuses, elles sont complètement délurées, elles ont la maîtrise de leur corps. Je fais aussi des toiles érotiques, je n’ai pas de mal à leur demander des poses érotiques. Ce qui est difficile aussi c’est d’avoir des portraits… comment dire… pas « posés », mais… expressifs. Comme le cri, l’étonnement, le dégoût, le rire, les pleurs. C’est ce que je leur demande.
Marc Ce tableau (visage bleu aux cheveux orange tu as une idée exacte de ce qui reste à faire, ou cela peut évoluer en cours de travail ?
Camalot Oui, je sais qu’il reste cinq ou six séances pour le jaune, deux ou trois pour finir les lèvres, les yeux, le blanc des yeux, et douze séances pour les lignes noires. Ce sera fini dans un mois et demi.
Marc Donc tu as clairement en tête ce qui reste à faire. Camalot Oui, pour moi le travail de création pure est terminé. C’est du remplissage, du coloriage. Le travail de création, c’est prochainement de ressortir des photos, de faire une sélection de poses, d’attitudes que je n’ai pas encore utilisées.
Jean-Jacques Tu pourrais montrer quelques-unes de ces photos ?
Camalot Je n’ai pas le droit de les montrer, j’ai signé un papier indiquant que je ne montre pas les photos, que je ne les diffuse pas, que je ne les utilise qu’à des fins artistiques pour mes tableaux.
Le travail de créativité va consister à sélectionner trois tableaux, une série de trois. Mais il y a aussi deux portraits et un autre tableau de 120x80, format paysage, et un format carré. Les petits formats ne sont pas des portraits, ce sont des détails. Là je ne traite pas du visage. Ce sont des détails que je veux faire, de poitrine, de sexe, de fesses ou de visages. On n’est plus dans le portrait. Je vais sélectionner deux portraits et un détail. Je ne sais pas encore ce que je vais faire, mais après la sélection, je saurai combien de toiles je vais réaliser.
Jean-Jacques Ce qui fait que tu as une production importante. Tu arrives à tout exposer ? Camalot Non, pas tout, pour une exposition il faut en faire un peu plus pour pouvoir sélectionner les meilleures toiles. Il y en a que je trouve un peu plus faibles que d’autres, donc je ne les expose pas.
Marc Qu’est-ce qui te paraît moins satisfaisant dans ce tableau ?
Camalot Je n’aime pas cette langue qui pend, ça ne faisait pas comme ça sur la photo, là ça fait trop large, ce n’est pas assez naturel.
Jean-Jacques C’est difficile de rendre une langue comme ça, en aplat.
Camalot Oui j’ai essayé mais…
Jean-Jacques Parce que là, tu vois, il y a des mouvements…
Camalot Oui là ça marche parce qu’elle est de profil… Bon, j’ai testé je me suis rendu compte du résultat. De toute façon les toiles qui ne me plaisent pas me servent de leçon pour les suivantes. Jean-Jacques Tu utilises des petits tubes comme ça ?
Camalot Oui, parce qu’il n’en existe pas de gros. Des fois je fais à l’huile pure, c’est mieux, les tubes sont plus gros. Mais l’huile pure met une semaine à sécher, alors que l’alkyde met un jour à sécher, ce qui fait que je peux avancer plus rapidement.
Jean-Jacques Tu pourrais faire un essai de travail sur une ligne pour que je puisse te prendre en photo ?
Camalot Sur une toile où j’ai des lignes à faire ! Voilà, j’ai mon pinceau qui est là, comme ça, et là je…
Jean-Jacques Ah oui comme ça. C’est curieux, quand on la voit finie on a l’impression que c’est fait d’un seul coup. Camalot Non là on voit bien que la ligne n’est pas finie, le noir n’est pas encore intense, il y a encore beaucoup de défauts. La technique est venue au fur et à mesure, depuis plus de trente ans…
Marc Il y a plus de trente ans, c’était des peintures qui avaient déjà quelque chose à voir avec ce qu’on regarde maintenant ?
Camalot Il y a plus de trente ans je peignais de deux façons : cette peinture-là et en parallèle des toiles abstraites. Un travail sur l’énergie des volcans. Je mettais en abstraction tout ce qu’il y avait autour du volcan pour ne garder que la partie énergétique, c’est-à-dire l’éruption avec ses couleurs très très fortes, le cœur de l’éruption qui était très très blanche, et puis autour qui était rouge, jaune explosive, et tout le reste était noir. C’était des photos d’éruptions la nuit, et je ne gardais que cette explosion. Je partais de photos de volcans et chaque tableau avait le nom du volcan photographié. C’était intéressant à travailler, parce que, quand on ne savait pas, on n’imaginait pas qu’il s’agissait d’un volcan. C’était une explosion de couleurs.
Jean-Jacques Et donc après tu en es venu aux femmes.
Camalot Oui, parce qu’au début je travaillais sur le jazz, le cirque, l’enfance…
Jean-Jacques Le jazz, tu veux dire des musiciens ?
Camalot C’était des compositions avec des groupes ou des portraits de jazzmen connus. Et déjà j’employais le trait. Quand j’ai eu ma fille, je travaillais un peu sur les portraits d’enfants. Chaque thématique m’occupait à peu près trois ans, mais je faisais moins de travaux que maintenant. Quand j’en suis arrivé aux nus je pensais que cela durerait aussi trois ans. C’était il y a vingt ans ! C’est un sujet qui me plaît vraiment. Mais en parallèle, quelquefois, je fais des petites séries sur d’autres thèmes, par exemple les chats. Marc Les volcans, c’est complètement révolu ?
Camalot Ça n’a pas plu, ça ne plaisait qu’à moi et ma famille. C’était long à faire aussi.
Jean-Jacques Ce n’était pas figuratif.
Camalot C’était abstrait, un vrai travail d’abstraction. Certains font de l’abstraction mais ne font souvent que de la décoration. Parce que dans l’abstraction, il y a un discours : qu’est-ce qu’on abstrait, ça ne veut pas dire je fais des taches c’est joli. C’est : j’abstrais quelque chose. J’abstrais tout ce qui est autour pour ne garder que ce qui est intéressant. Il faut avoir un discours sinon ce n’est pas de la peinture, c’est de la décoration. Quand je fais ce genre de tableau (tableau tulipe / sexe), c’est aux limites de l’abstraction. Je mets en abstraction tout le corps de la femme pour ne garder que des détails. C’est ce que je fais quand je fais les petits formats carrés. J’aimerais que dans les carrés, au départ, on ne sache pas ce que c’est. Les spectateurs vont d’abord voir des formes géométriques colorées, mais qu’est-ce que c’est ?
Jean-Jacques Mais dans ce tableau, ce n’est pas de l’abstraction, on voit une fleur. Camalot C’est à la limite.
Jean-Jacques C’est intéressant parce que dans un premier temps, on ne voit pas que c’est un sexe, on voit la fleur… cela oblige le spectateur à lire le tableau de façon plus attentive, à laisser jouer les associations.
Marc Cette façon de travailler, tu envisages de la développer ?
Camalot Oui, mais c’est difficile parce que je suis obligé de faire des tableaux complètement figuratifs et ensuite de recentrer pour me rendre compte après coup qu’il y un détail que je peux utiliser.
Marc Tu as une activité de magicien. Est-ce que peinture et magie sont complètement séparées ?
Camalot J’ai essayé de peindre sur le thème de la magie. J’avais fait quelques tableaux, des magiciens sur scène, mais je n’ai pas été satisfait. Par exemple, tu peins une femme en lévitation, avec le magicien et à côté la femme qui lévite de manière horizontale. Sur scène c’est magnifique, dans un tableau ça ne rend rien. Donc j’ai arrêté. En revanche j’ai des routines de magie sur le thème de la peinture. Jean-Jacques Dans les deux domaines, peinture et magie, il y a du secret. Dans la peinture il y a la question des photos, que tu ne montres pas. Dans la magie il y a la partie secrète de la technique. Au fond, tu es un magicien… Comment fais-tu tes choix de couleurs ? Parce qu’une femme bleue, je n’en ai jamais vue…
Camalot C’est une manière, justement, de sortir de la figuration. Si je fais des couleurs « chair » avec un ciel bleu, j’ai l’impression de reproduire la réalité et ce n’est pas ce que je veux faire. Je veux exprimer mon propre monde et je dépasse la figuration en mettant ces couleurs-là. C’est pour ça que je fabrique mes couleurs.
Jean-Jacques Tu mélanges le réalisme et même la réalité…
Camalot … avec mon délire de couleurs.
Jean-Jacques Et les langues ? En ce moment tu es « branché » sur les langues…
Camalot Quand on demande à une fille « tu me fais la grimace » à tous les coups elle tire la langue, ça m’a intéressé de faire un travail de peinture avec.
Jean-Jacques Ce qui me frappe dans ton travail, c’est la ligne. Pour moi c’était un mystère. Pour arriver à une perfection pareille… C’est toujours douze fois ? Camalot Oui, sans compter la première qui est faite pour placer les aplats de couleur.
Jean-Jacques Il y a la ligne et à travers ça la capacité à rendre l’expression.
Camalot Mon objectif dans les prochaines expos, c’est d’avoir quelque chose de très expressif dans les traits ou dans le regard. C’est finalement encore plus difficile pour le modèle d’atteindre cet aspect expressif.
Jean-Jacques On voit dans les formats carte postale une œuvre différente…
Camalot C’était la série des bébés. Ce tableau, c’était la naissance de ma fille. Je racontais un peu une histoire. Là c’est moi à l’époque, à gauche la mère. On voulait un enfant, elle est représentée enceinte. Le bébé a été conçu en Thaïlande. J’ai représenté mon personnage avec un bébé dans la tête, la femme enceinte, la Thaïlande, c’est de la figuration narrative, je raconte une histoire avec plusieurs éléments. Je transmets au spectateur cette histoire de manière intuitive. Marc Cette manière de construire le tableau paraît assez isolée, non ?
Camalot Ça fait partie d’un ensemble sur les enfants, où j’ai utilisé cette figuration narrative. Il s’agissait de raconter une histoire autour d’un bébé. J’adore cette façon de faire, mais raconter une histoire autour d’une femme pour le moment je ne sais pas le dire. J’aimerais revenir à la figuration narrative.
Jean-Jacques Ça veut dire qu’il faut un contexte. Inviter une fille à poser dans un studio…
Camalot … pour l’instant c’est limité. Mais sait-on jamais ? Peut-être que ça peut arriver. J’aimerais bien. C’est difficile de changer de style de peinture, j’avais déjà essayé avec la magie mais ça ne m’a pas satisfait. Je reviens vers ma manière de peindre, j’en suis un peu prisonnier.
Jean-Jacques Tu veux dire avec la ligne et les aplats ?
Camalot Pour sortir de l’aplat, par exemple, j’ai essayé de faire des effets dans les couleurs mais ça ne rend pas trop, sauf si je fais ça juste sur le fond. Mais je trouve que ce n’est plus moi, ça devient presque de la déco. Jean-Jacques Ton style, on le reconnaît tout de suite très bien. On le reconnaît d’abord au trait. Tout ce travail, sur des années et des années, t’a conduit à la maîtrise.
Camalot Ce n’est pas une maîtrise, c’est une évolution, légère d’une année sur l’autre. J’espère que cette évolution amènera à un changement, dont je n’ai pas trop idée actuellement.
Jean-Jacques La partie secrète m’intéresse aussi. Avant le tableau il y a le dessin, et le travail avec les photos.
Camalot Mais pour moi le travail d’avant n’est pas vraiment un travail d’artiste. Je ne suis pas dans l’art quand je regarde les photos.
Jean-Jacques Et quand tu prends les photos ? Peut-être qu’un jour tu pourrais faire une expo avec une série de photos ?
Camalot J’ai des milliers de photos. Il faudrait que je les scanne, ce sont des diapositives.
Jean-Jacques Il t’arrive de les regarder ?
Camalot Non, si je les regarde c’est que j’ai une idée bien précise en tête, une pose, une attitude et que je me souviens où la retrouver. Nous nous préparons à nous en aller.
Nous allons reprendre notre procession dans le long corridor orange, entourés par le silence bruissant de la foule des modernes prêtresses dionysiennes.
Il y a un secret.
Les filles, dans leur immuable cortège, leurs déhanchements, leur gymnastique délurée, leur sourire électrique apparaissent d’un coup, semble-t-il, telles des Minerves érotiques sorties tout éruptives de la tête de leur créateur magicien.
Mais il n’existe nulle trace de ce qui a constitué des préparatifs, des démarches initiales, de ce qui a pu se fomenter avant. Les dessins ont été détruits, les photographies des modèles sont au placard.
Le maître des lieux nous raccompagne.
Nous voilà maintenant dehors avec lui.
Nous quittons la maison des mystères.
Entretien à Baziège, 26/02/2016.
Il y a toutes ces filles
Nues qui sont très belles
Mais aussi il y a la couleur
La couleur qui se fabrique la couleur à salir
L’orange le bleu
Le mauve le vert
À grands aplats à grand renfort de couches
La couleur salie avec du noir
On ne le voit pas trop si on ne le sait pas
Mais elle
On la voit la ligne noire
Tracée retracée toujours et encore retracée
Douze fois
Pas une de plus ni de moins
C’est l’expérience qui l’enseigne
Bon enfin il y a aussi les très belles filles
Nues
Leurs rires leurs pleurs
Leur étonnement leur dégoût
Leur danse posée
Elles tirent la langue elles grimacent
Et toujours la ligne noire
Enserre leur corps galbe leur corps
Sculpte leur chevelure
Imprime leur sexe exalte leur bouche
Froisse leur linge
Mais il y a le secret
Un secret en pleine lumière en pleine surface
Dans tout son éclat mat sans ombre
De couleurs chaudes
De couleurs froides
Le magicien fait ses tours
Ni vu ni connu
Le peintre fait ses couleurs
Dessins brûlés
Photos cachées
Le jazz le cirque l’enfance
Les chats les volcans
Semblent des mondes abolis ou révolus
Sauf qu’on sent une nostalgie des couleurs très très rouges
Très très blanches jaunes explosives
Avec la nuit autour
Dans la Maison des Mystères
Tu le découvriras
La tulipe est un sexe
(ou le sexe une tulipe ?)
Marc Nayfeld