Photo de Toulouse

Rouget

Jean-Louis ROUGET

Jean-Louis Rouget garde en lui, peut-être plus secrètement qu’il n’est visible, quelque chose de l’Asie. Une Asie contemporaine, certes, dont il connaît la peinture. Mais aussi une Asie plus ancienne, celle des Yuan, des 14 et 15ème siècle, dont la peinture laisse voir le papier, un papier pourtant très beau mais qui n’est plus tout à fait le papier, laissant apparaître une présence, la présence des choses qui sont là, plus présente que ces choses elles-mêmes.
C’est le sens de son travail, comme il le dit au cours de cet entretien : "J'essaie de m’économiser, de laisser de l’espace sans rien, du vide, du vide qui dit beaucoup ... la trace du geste, c’est la trace du pinceau, de la plume, de n’importe quel outil. Ça peut être juste le mouvement, l’empreinte ... le fond, le vide est très important pour mettre en valeur la trace, c’est sûrement le travail sur le vide qui commence après de nombreuses années à se concrétiser, si je puis dire."
Jean-Louis est aussi l’homme des rencontres et des belles amitiés, avec d’autres artistes et écrivains, et de la fidélité à certains lieux dont il parle avec tendresse et une nostalgie gourmande, Saint-Cirq-Lapopie ou cette vallée du Vert, à Labastide, encore aujourd’hui frémissante comme un matin de peupliers.


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Jean-Jacques : D’où vient chez toi l’expression picturale ? De quand date-t-elle ?

Jean-Louis : Tout petit, j’ai toujours beaucoup dessiné, peint. J'ai fait aussi des dessins d’architecture.

Jean-Jacques : Tout petit, c’est-à-dire ?

Jean-Louis : Vers 5/6 ans. C'était du plaisir de réaliser des dessins, des peintures. J'aimais bien aussi redessiner des architectures, essayer de faire des perspectives souvent ratées. Ce qui a été déterminant, c’est au collège la rencontre avec un professeur de dessin : Bernard Ryon. C'était il y a fort longtemps ! Parce que c’était quelqu’un de passionné, il l’est toujours, qui a su révéler ou déclencher quelque chose chez moi.

Jean-Jacques : La rencontre s’est faite sur le dessin ? La peinture ?

Jean-Louis : Sur les deux, il réalisait en fin d’année scolaire une exposition au théâtre des Mazades à Toulouse. Il y présentait quelques travaux d’élèves dont j’étais, j'avais une douzaine d’années. C'est lui qui m’a donné l’envie de poursuivre dans cette voie. Les études, ça ne m’intéressait pas trop, quelques années après, il fallait que j’arrête tout pour faire de la peinture.

Jean-Jacques : Tu voulais déjà en faire ton métier ?

Jean-Louis : Oui, et Bernard Ryon a été un modèle.

Jean-Jacques : Ça voulait dire que tu avais déjà une connaissance des peintres et de leurs activités.

Jean-Louis : Oui, j’avais pris quelques cours dans un atelier que je n’avais pas du tout aimé, qui se trouvait quai de Tounis. On travaillait à partir de catalogues de papiers peints en relief, il fallait faire les contours pour nous apprendre la maîtrise du geste c’était d’un ennui épouvantable, j’ai tenu trois semaines. Je devais avoir treize ans.
Avec Bernard, j’ai appris les proportions, les colorations. J’avais supplié mes parents de m’inscrire à des cours de peinture et de dessin, j’avais trouvé une formation par correspondance. C'était très bien fait, j’apprenais les diverses techniques. J’envoyais les dossiers que j’avais réalisés, ils revenaient annotés très sérieusement, C'est tout un travail que j’ai d’ailleurs gardé. Il y avait aussi des cours d’histoire de l’art.

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Jean-Jacques : Et tu décides de devenir peintre …

Jean-Louis : … au grand dam de mes parents. Ils étaient boulangers - pâtissiers aux Minimes et ils auraient préféré que je reprenne la pâtisserie. Je voulais peindre, je voulais exposer. J’ai des attaches dans le Lot et le seul endroit que je connaissais alors où il y avait des galeries et des expositions, c’était à Saint-Cirq-Lapopie. Puisque j’avais décidé d’arrêter les études, je me suis dit qu’il fallait que j’aille voir ce que je pouvais faire. Je suis donc allé à Saint-Cirq-Lapopie, il y avait une galerie sur la place du village mais elle ne prenait plus d’artistes, on m’a adressé au musée où étaient organisées des expositions. J'ai rencontré la responsable du musée, Jeanne Agache-Pointet, peintre entomologiste. Elle était venue d’Algérie en France dans les années soixante, elle avait connu de nombreux peintres : Étienne Dinet, célèbre orientaliste, Paul Jouve peintre animalier qui avait magnifiquement illustré Le Livre de la Jungle de Kipling, Foujita et bien d’autres… Je découvrais ce monde à travers elle. Elle me parlait de la période qu’elle avait connue dans les années trente en Algérie. Elle m’a dit d’abord de reprendre mes études et de passer mon bac : “Je vous ferai travailler, je vous ferai exposer, mais vous allez étudier sérieusement pour avoir le bac”. Au fil des mois une connivence s’est faite et cela a été déterminant. Effectivement, j’ai obtenu mon bac, j’exposais à Saint-Cirq avant que j’entre aux Beaux - Art, Jeanne Agache-Pointet me disait que l’École ne serait pas forcément d’accord avec le fait d’exposer si tôt. “Vous éviterez d’en parler”.
Aux Beaux - Arts de Toulouse j’ai eu Izaure comme professeur de dessin et en gravure, puis Schintone à l’atelier de peinture. Ce qui manquait pour moi aux Beaux - Arts, c’était justement cet aspect de préparation aux expositions, à la partie communication du métier de peintre. C'était une grosse lacune, on ignorait parce que ce n’était pas artistique : les démarches auprès des galeries, des institutions, les frais, comment vivre de sa peinture, c’était le sujet tabou. Moi j’étais un peu rôdé à ça, ce qui n’était pas plus mal.

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Jean-Jacques : Qu’est-ce que tu as présenté pour ces premières expositions ?

Jean-Louis : C’était surtout des dessins à l’encre de Chine, au pinceau, à la plume. Des paysages essentiellement, par goût j’ai une formation tournée plutôt vers le paysage. J'ai besoin de ce contact avec la nature, c’est primordial. J'allais sur le motif dans la campagne mais aussi dans Toulouse. Tout était sujet : les champs, les bosquets, les maisons, les jardins, les saisons, l’usure du temps... Je participais aussi à des expositions de groupe, c’était un moyen de rencontrer d’autres artistes, ce qui est très important. Les échanges peuvent permettre de progresser.

Jean-Jacques : Tu as le souvenir de certaines de ces rencontres ?

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Jean-Louis : Ah oui ! Quelques-unes m’ont beaucoup marqué. Vers 1976, j’étais encore aux Beaux - Arts, j’avais des amis qui étaient employés à Antibes chez Hans Hartung, ce géant de la peinture abstraite gestuelle. Je m’étais dit que ce serait formidable de le rencontrer. Je n’y croyais pas trop mais j’ai pu avoir un rendez-vous. J'ai pris ma 2 CV, je suis allé à Antibes jusqu’au magnifique domaine aujourd’hui devenu la fondation Hartung. J’ai visité les ateliers, je n’avais jamais vu d’ateliers aussi vastes. Des réserves garnies d’une profusion de matériels, d’outils inimaginables. Il faisait fabriquer ses pinceaux, des griffes qu’il utilisait une ou deux fois. J’ai eu la chance de pouvoir admirer des toiles de grands formats, des toiles en cours d’exécution sur des chevalets. Il y avait en extérieur des ateliers pour préparer ou vernir les toiles. Il a eu jusqu’à quatre assistants, quand j’y suis allé il n’y en avait plus qu’un qui réalisait ses tirages de gravures sur une énorme presse hydraulique, une machine d’imprimerie. Ma rencontre avec Hartung a été extraordinaire. Un type fabuleux, avec une gestuelle étonnante qui m’accueillit avec bienveillance. Nous avons parlé de son travail et puis il a souhaité voir le mien. J'avais apporté des travaux que j’avais réalisés aux Beaux - Arts. Il a pris le temps de les regarder, de les examiner, de me dire ce qu’il en pensait, c’était un échange passionnant. Avant de partir il m’a offert un de ses catalogues dédicacé. Pour le jeune étudiant que j’étais, c’était une rencontre improbable, hors du temps qui a été aussi un élément révélateur de ce que peut être l’art.

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Jean-Jacques : Ça ne t’a pas orienté vers l’abstrait ?

Jean-Louis : Non, je suis resté sur la nature, sur la figuration. J'ai travaillé sur les noirs, les blancs, des graphismes très simplifiés.

Jean-Jacques : Donc tu fais tes études aux Beaux - Arts, tu vas jusqu’au diplôme …

Jean-Louis : … aux Beaux - Arts de Toulouse, puis à Paris, pour une licence d’arts plastiques à la Sorbonne parce que je pensais que c’était bien d’avoir une autre vision des choses. Quand je suis arrivé à Paris avec mes cartons à dessin, je me suis fait descendre comme un bleu, j’en ai pris plein la gueule. “ À Toulouse vous faites encore du dessin ? au crayon ?”. Bon, ça on arrive à le gérer, mais cela n’a pas été facile. Cette licence était un complément nécessaire pour moi, j’avais besoin d’avoir une autre vision de l’art.

Jean-Jacques : Oui, parce qu’il a dû y avoir une partie “déconstruction”.

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Jean-Louis : Bien sûr, cette « déconstruction » s’est faite littéralement en déchirant, en lacérant : les supports notamment le papier. Ces actions permettent de faire une sélection : dans sa production ou dans l’orientation qu’on veut donner à son travail. Il faut avoir plusieurs points de vue pour choisir le sien. Puis une « reconstruction » à Paris par la confrontation avec les expositions, les musées, les galeries, c’était l’occasion quotidienne de magnifiques découvertes.

Jean-Jacques : Lorsque tu étais à la Sorbonne, tu avais déjà fait pas mal d’expos.

Jean-Louis : Oui, mais je n’en parlais pas, ce n’était pas le but. Pour moi les expos c’était quelque chose d’un peu à part. Il y avait la formation, et les expos étaient en parallèle. Les expos m’ont permis de faire des rencontres avec des personnes qui ont commencé à collectionner ma peinture. C’était étonnant et c’est encore le cas. Saint-Cirq-Lapopie était un lieu intéressant au niveau des expositions surtout hors saison, d’avril à fin juin, et de septembre à novembre. Il y avait le sculpteur Darius, qui avait sa galerie, on ne s’est jamais croisé à Saint-Cirq ! … C’est incroyable, je connaissais son travail, il était à l’entrée du village. Il a fallu attendre les Artistes Méridionaux pour nous connaître et devenir amis.

Jean-Jacques : À Saint-Cirq il y avait beaucoup d’artistes, tu as eu l’occasion de les rencontrer ?

Jean-Louis : Je connaissais très bien Alain Prillard le graveur, il y avait aussi Bobin ... On se côtoyait, on ne travaillait pas forcément dans les mêmes registres, mais c’était enrichissant.
Les rencontres dans les expos, c’était aussi avec les visiteurs et les amateurs d’art, comme le directeur du musée d’Edimbourg, qui m’avait demandé de démonter et de rouler une grande toile qu’il venait de m’acheter. Une autre fois, je faisais une expo dans un petit village, proche de Saint-Cirq, dans une auberge, Françoise Sagan y déjeunait souvent, elle a pris une toile et a souhaité me rencontrer. Comme je n’avais pas encore démonté l’expo du musée de Saint-Cirq-Lapopie, c’était au mois de novembre, il faisait très froid, on a fixé un rendez-vous au musée, où elle a choisi une deuxième toile. Quelques jours après je lui ai livré les toiles chez elle à Cajarc, où j’ai eu le bonheur de passer l’après-midi à discuter avec elle, un très beau moment qui marque une vie.

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Jean-Jacques : Tu avais le double apprentissage, celui des expos où tu progresses par les rencontres et les discussions, et la formation des Beaux - Arts, ça te permettait de faire les liens.

Jean-Louis : Tout à fait, parce que, comme je le disais, les Beaux - Arts ne formaient pas à cette face du métier. Ça a changé maintenant, il y a beaucoup plus de possibilités avec les résidences d’artiste, la formation au métier de plasticien s’est améliorée, comment on gère les contrats, les galeries, les droits d’auteur, etc. A l’époque des Beaux - Arts, j’ai eu le côté technique avec Schintone ç’a été extraordinaire, avec Izaure c’était plutôt la poésie. Toute la matinée était consacrée au dessin, c’étaient des moments d’échanges, j’essayais tous les outils et supports possibles, je dessinais aussi avec des crayons Wolff qu’Izaure affectionnait particulièrement, on n’en trouve plus aujourd’hui, la fabrication est terminée, c’est bien dommage, parce que c’était un très beau noir, puissant. J'agaçais un peu Izaure, j’aimais bien le provoquer, je faisais de tout petits dessins sur de grandes feuilles, il me disait “essayez de faire plus grand, tout de même !”. C'étaient des clins d’œil, des moments de connivence. J'arrivais très tôt le matin avant 8 heures et j’aimais bien m’arrêter autour de 10 heures. J'avais réussi avec d’autres étudiants à le traîner prendre un café au Bellevue pour continuer le cours par des discussions et refaire le monde. Après, on revenait dessiner, je consommais énormément de papier, j’avais une grosse production et je finissais par réaliser des formats beaucoup plus grands …
Izaure nous posait des natures mortes derrière des calques, avec un éclairage, on n’avait que des ombres, c’était techniquement intéressant à faire. C'était l’apprentissage des valeurs, des notions de perspective, de volume, et tout ça avec une poésie, une culture qui étaient magnifiques. Pour moi, ç’a été formateur et j’ai du mal à dissocier sa personne de son travail. Il m’a donné une certaine idée de la pratique du dessin, de la gravure et de l’art en général.

Jean-Jacques : La deuxième rencontre, c’est Schintone.

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Jean-Louis : Oui, il était très technicien : comment on monte une toile, l’encollage, les techniques picturales, la composition, les matières. Il n’influençait pas, ce qui était très bien, dans son atelier il y avait une profusion de genres différents, de l’abstrait, de l’hyperréalisme, du surréalisme … tout était possible, il laissait les étudiants libres de ce qu’ils voulaient faire, il était là en tant que technicien-assistant. Il avait un style très personnel, il montrait certaines manières de travailler au pinceau, mais c’était tout. Il nous poussait à rechercher notre propre voie et à faire ce que nous souhaitions vraiment. Ce qui faisait un atelier complètement éclectique. On avait entre étudiants des échanges et des discussions, parfois houleuses, mais qui se terminaient souvent autour d’un pot.

Jean-Jacques : Ça, c’était après 68 ?

Jean-Louis : Oui, bien après. En 1974 j’ai dessiné les derniers plâtres aux Beaux - Arts, la majorité des plâtres avaient été balancés en 68 dans la Garonne, mais il en restait encore quelques-uns qui traînaient par-là. Izaure, Pagés ou Sallilas nous les proposaient comme de vieilles reliques échappées d’un carnage.

Jean-Jacques : Comment tu as traversé 68 ?

Jean-Louis : J’étais encore au collège, avec Bernard Ryon, à part sécher les cours … ce n’est pas forcément ce que j’aurais dû retenir de 68, mais c’était l’apprentissage de la liberté et surtout l’époque de ma jeunesse.

Jean-Jacques : Aux Beaux - Arts c’était carrément un changement.

Jean-Louis : Ah oui ! en 1974 il restait encore quelques post-soixante-huitards qui sévissaient et qui étaient très virulents ; quelqu’un comme Giner, qui a marqué une génération par sa bêtise. C'était un personnage un peu tordu. Il avait fait une expo très conceptuelle à la bibliothèque universitaire du Mirail et quelques-uns d’entre nous avions renversé un cendrier sur un papier au sol, on avait écrasé tout ça et on avait réalisé une installation. Il était là et il a véritablement pété les plombs, il nous a traités de tous les noms. Nous on ne faisait qu’une installation, après tout c’est ce qu’il nous avait toujours demandé de faire.

Jean-Jacques : Le conceptuel, comment tu l’as abordé ?

Jean-Louis : Justement peut-être à travers Giner, des expos que je voyais à droite à gauche, à Beaubourg, à Paris.

Jean-Jacques : Ça n’a pas orienté ton travail.

Jean-Louis : Non, ce n’était pas quelque chose qui me correspondait. Je suis plutôt resté sur l’émotion et sur sa retranscription.

Jean-Jacques : J’avais vu une de tes toiles, il y a certainement longtemps, une bâche de camion, ça m’avait fait penser …

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Jean-Louis : … à Peter Klasen. J'adore Peter Klasen mais je trouve son travail trop froid. J'ai besoin d’avoir des traces du pinceau, des doigts, des poussières, j’aime bien avoir ce côté humain, peut-être un peu hasardeux. Peter Klasen c’est un magnifique peintre, une composition très étudiée, très sérieuse, avec des collages très intéressants, mais j’ai besoin du côté plus chaleureux de la trace, le côté plus pictural que photographique.

Jean-Jacques : Pour moi, Klasen ç’a été une inspiration, pour la rigueur de la composition, la vision chirurgicale de l’objet. Intellectuellement c’est très puissant.

Jean-Louis : Tout à fait, j’ai fait une série sur les machines, c’était une émanation du paysage au départ. La machine est dans le paysage et j’ai trouvé que c’était un sujet autant que le paysage. Je me rappelle que j’avais vu une énorme moissonneuse batteuse jaune immobilisée dans un champ suite à une crevaison. Je me suis arrêté, je faisais un grand format, j’étais en plein milieu du champ. J'étais en train de peindre, des gens sont venus réparer la moissonneuse, la moissonneuse est partie, moi, je suis resté planté là dans le champ et là quelqu’un est venu voir ce que je peignais, il a regardé sans rien dire, étonné, il reparti sans rien dire.
Pour moi la machine est la continuation du paysage. C'est un détail ou un agrandissement du paysage. C’est toujours le détail qui m’intéresse, ce n’est jamais une machine complète et je laisse le spectateur, un peu comme Klasen, imaginer l’hors-champ. Alain Casado m’avait laissé son poste d’enseignant au CFA, j’avais des élèves photographes avec qui je parlais souvent du cadrage, ce qui m’a amené naturellement à réfléchir sur mon travail, même si je ne fais pas de photographie.

Jean-Jacques : Est-ce que cette notion de cadrage est enseignée aux Beaux - Arts ?

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Jean-Louis : C’était dans la composition. On ne parlait pas forcément de cadrage qui est plutôt un terme photographique, mais on cherche ce qu’on peut prendre dans un paysage, la dimension qu’on va retenir, le choix du format, carré, horizontal, vertical, ce sont des options qui font sens. La formation est complexe, elle se fait au fur et à mesure, elle n’est jamais finie. Il faut rester éveillé sur ce qui se fait, le conceptuel est intéressant parce qu’il remet les pratiques en cause. Il n’y a pas une seule manière de voir.

Jean-Jacques : On a évoqué la machine, ç’a été une période de ton travail ?

Jean-Louis : Pas réellement, parce que j’aime bien passer d’un sujet à un autre. C'est selon les envies, les rencontres. J'ai travaillé sur les noirs après avoir vu une expo de Veličković à Toulouse dans une galerie qui était superbe, le Garage, pas très loin du canal, près de la piscine Léo Lagrange. J'y avais vu des choses extraordinaires, d’une grande puissance. C'est un peintre yougoslave qui a connu la guerre, qui présentait des œuvres très dramatiques sur des toiles de jute très grossières, une manière de travailler « primaire », très forte, avec un résultat très prenant. Je me suis demandé ce que je pouvais produire sur ce thème. Et j’ai fait une série sur les incendies, les pluies acides ...

Jean-Jacques : Les incendies sortaient totalement de ton imagination.

Jean-Louis : Oui, c’est un travail d’atelier. Pour les machines, les paysages, j’ai besoin d’un contact visuel. Après on peut terminer à l’atelier parce qu’on enlève des éléments, on supprime, on rajoute, on fait une composition dans un format donné. Sur les incendies ou les noirs, c’est Veličković qui a été le déclencheur, avec un autre artiste que j’aime particulièrement : Soulage.

Jean-Jacques : Il y a le côté violent, que je connais bien par des amis d’origine polonaise, qui ont un rapport à la matière qui est brutal, et Soulage c’est la puissance du noir. Tu as rencontré les deux.

Jean-Louis : Oui, et ça rejoignait un peu la période du dessin avec Izaure où il y avait un équilibre entre le noir et le blanc comme dans la gravure que j’ai apprise à l’atelier de René Izaure. C'était quelque chose qui me parlait et que je prolonge aujourd’hui dans mon travail de gravure : les herbes, les incendies ...

Jean-Jacques : Pour le feu, il fallait quand même que tu aies en tête une image.

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Jean-Louis : Dans mon enfance en Corse, où j’avais de la famille, j’avais été impressionné par des incendies. Ça a dû laisser des traces. Je me suis dit que j’allais voir ce que je pouvais faire. C'est pareil pour les blancs. J'avais commencé des toiles toutes blanches aux Beaux - Arts, je faisais l’inventaire des blancs qu’on utilisait, des blancs de plomb qu’on ne trouve plus, comment ils vieillissaient, comment ça bougeait dans le temps, des blancs de titane, etc. Tout ça c’était des essais, mais que j’ai utilisés depuis dans des paysages blancs de neige.

Jean-Jacques : Là, il y avait un côté recherche.

Jean-Louis : C’était une interprétation d’atelier parce que je ne pouvais travailler dehors.

Jean-Jacques : Dans ce travail de recherche il faut que l’esprit soit alimenté par quelque chose. On a évoqué des contacts mais il peut y avoir aussi des lectures. Tout un corpus culturel intervient. Est-ce que ç’a été ton cas ?

Jean-Louis : Pas réellement. Chez moi c’est vraiment du visuel. J'avais besoin, j’ai toujours besoin de me nourrir d’images.

Jean-Jacques : Il y a beaucoup de livres dans ton atelier.

Jean-Louis : Beaucoup sont ceux de mon épouse Florence qui est sculpteur-céramiste d’une grande culture, titulaire d’une maîtrise de philo et capésienne en arts plastiques, nos discussions sont souvent acharnées. Moi c’est peut-être plutôt Franquin avec idées noires qui m’a influencé, sans doute parce que cela rejoint Veličković et une série de toiles que j’ai réalisée sur les animaux écrasés dont Animaux défendez-vous, qui était assez violente.

Jean-Jacques : Donc c’est des bandes dessinées.

Jean-Louis : Oui, c’est encore du visuel.

Jean-Jacques : Mais dans les paysages il y avait F’murr aussi.

Jean-Louis : Bien sûr, la poésie de F’murr, et il y a aussi Corto Maltese avec Hugo Pratt, le graphisme, le travail au feutre ou à l’encre, les cadrages cinématographiques. Mais il y a eu aussi Bonjour tristesse, l’écriture de Sagan, de D’Ormesson, la poésie chinoise Tang. Jeanne Agache-Pointet m’a beaucoup aidé à apprécier les auteurs classiques français. Et je trouve une certaine correspondance entre mon travail actuel et une phrase de Sylvain Tesson extraite de La panthère des neiges : « La Terre avait été un musée sublime. Par malheur, l’homme n’était pas conservateur. » Mais j’ai essentiellement besoin de visuel.

Jean-Jacques : D’où les voyages, peut-être ? Tu as fait de nombreux et beaux voyages.

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Jean-Louis : Oui, c’était aussi des occasions. En Irlande, je n’étais pas encore entré aux Beaux - Arts, c’était les premières aquarelles que je faisais sur place, sur le motif, des notations, c’était important de m’approprier le voyage par cet intermédiaire, l’aquarelle, le dessin. D’autres voyages ont suivi, le « fameux voyage en Italie » cher aux artistes, le Maroc, l’Espagne qui ont été vraiment extraordinaires au point de vue des couleurs et des rencontres avec les habitants. On a eu l’occasion d’aller plusieurs fois en Chine, on avait une amie qui était installée à Shanghai. Le dessin et la peinture permettent de communiquer directement sur place. Les Chinois sont curieux par nature, ils voulaient voir comment je tenais la boîte d’aquarelle, quel pinceau j’utilisais. Mais il y avait quand même un problème de communication verbale et donc je me suis mis au chinois. J'ai fait quelques années de chinois, j’ai arrêté maintenant parce que je ne suis pas sûr de revenir un jour en Chine. Mes voyages en Asie ont été plein de rencontres étonnantes. Je faisais beaucoup de portraits que je donnais au fur et à mesure parce que c’est aussi une manière d’échanger. Quand on parle un petit peu le chinois, cela ouvre pas mal de portes mais la prononciation donne pas mal de quiproquos qui amusent beaucoup les Chinois.

Jean-Jacques : Est-ce que tu as été voir des expos à ce moment-là ?

Jean-Louis : Oui, des expos d'art contemporain, notamment le fameux et gigantesque quartier artistique de Pékin ARTDISTRICT 798 ou des galeries et les fameux entrepôts à Shanghai, il y avait déjà Ai Weiwei, Yue Minjun ou encore Lin Tianmao qui commençaient à être connus.

Jean-Jacques : Et qu’est-ce que tu retiens de tes voyages en Chine dans ta peinture ?

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Jean-Louis : On a une manière différente d’aborder la peinture, l’espace plan, au niveau des pinceaux, des supports. Les compositions et l’état d’esprit aussi sont différents. Les écrits de François Cheng sont la référence sur la notion de vide qui n’est pas familière en Occident. Nous, on est plutôt sur le plein, la matière. C'est intéressant de se confronter à une autre conception de l’espace et de sa représentation.

Jean-Jacques : Tu as pu le traduire en peinture, ça ?

Jean-Louis : J’ai essayé. J’essaie encore. J'essaie de m’économiser, de laisser de l’espace sans rien, du vide, du vide qui dit beaucoup. La dernière expo que j’ai faite à la galerie Palladion, c’était à partir des nuages, cette espèce de vide, indiquer juste une matière fluide, mais légère pour suggérer, plus que pour montrer. Une plus grande sobriété, c’est l’influence de la conception asiatique de l’espace.

Jean-Jacques : Je me suis toujours imaginé la tension que cette capacité à représenter le vide nécessitait pour celui qui la produit.

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Jean-Louis : Oui, il y a une intériorité. Les peintres d’Asie tournent le dos au paysage, ils ont analysé le paysage, le paysage est en eux, ils deviennent le paysage, ils le retranscrivent par leur geste, avec une épuration particulière.

Jean-Jacques : Tu arrives à te mettre dans cet état, par exemple quand tu peins les nuages ?

Jean-Louis : Oui mais … c’est de l’ordre de … je ne vais pas dire de l’inconscient … si peut-être de l’inconscient … on maîtrise le geste … on est dans la peinture. C'est cela qui est intéressant. C’est « l’apprentissage » de l’Asie qui peut-être permet cette sérénité. Aux Beaux - Arts ce n’était pas d’actualité. Izaure qui était pourtant un grand amateur d’art asiatique n’en parlait pas, il était très discret. Cette possibilité-là d’interpréter le monde, d’un travail sur le vide, est passionnante. C'est une ouverture que je n’aurais jamais imaginée avant ces voyages. Mais certains peintres que j’ai rencontrés là-bas étaient des peintres officiels, très académiques. Ils avaient une suffisance assez incroyable, ils m’offraient leurs monographies et des catalogues de leurs œuvres à titre d’échanges, ce n’était pas forcément ce que j’aurais souhaité comme contact. Par contre, tout ce qui est art conceptuel, art contemporain chinois, c’est puissant. Heureusement, on voit maintenant en France quelques artistes chinois que j’ai cités. Ce qui est intéressant aussi c’est de voir des peintures originales des 14ème, 15ème siècle surtout de la période Yuan. C'est passionnant de voir cette gestion du vide. On peut le voir en reproduction, j’ai pas mal de livres sur les arts asiatiques, mais la dimension n’y est pas, ce n’est pas la même impression que d’avoir devant soi le rouleau peint déroulé sur plusieurs mètres. C'est une autre conception et c’est intéressant de se demander comment je peux l’interpréter, comment je peux me l’approprier pour en faire autre chose.

Jean-Jacques : C’est quelque chose que tu essaies de faire en ce moment ?

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Jean-Louis : Oui, par exemple pour Le temps du rêve. Il y a eu une exposition sur le Japon il y a quelques années à Paris, sur les paravents japonais. J'ai le souvenir d’une pleine lune, comment les peintres japonais arrivent avec rien à faire quelque chose de si évocateur. Comment puis-je m’approprier cette image et la transposer à ma manière ? J'essaie d’être une éponge, d’absorber … J’ai vu une expo Barceló il y a deux ans à Malaga au musée Picasso. Il avait réalisé une peinture sur une lune, justement, qui ne m’a pas plu du tout. C'était pour moi « un mauvais travail ». Mais c’est le peintre actuel le plus en vue de l’art contemporain, paraît-il…

Jean-Jacques : Comment tu définirais “un mauvais travail” ?

Jean-Louis : C’est quelque chose que je n’aurais pas fait !... Là je suis prétentieux, je voulais dire que la composition me semblait trop incertaine et la matière trop épaisse, trop lourde. D'autres toiles, sur la tauromachie, ne m’ont pas plu non plus. Les amis qui étaient avec moi admiraient énormément son travail notamment sur La Métamorphose de Kafka, on en a discuté, mais chacun est resté sur ses positions.

Jean-Jacques : Comme tu dis, moi je ne l’aurais pas traité de cette façon, j’en aurais eu une autre vision.

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Jean-Louis : Oui, ce peut être provocateur et orienté sur une autre façon de travailler. Veličković a été très révélateur de mes choix. J'ai rencontré un sculpteur allemand Kurt Grabert, venu à St-Cirq-Lapopie, il m’a acheté une toile, il a souhaité me rencontrer. On a sympathisé, il parlait un très bon français et m’a invité en Allemagne, il m’a ouvert son atelier, j’ai travaillé avec lui. Il m’a fait connaître des peintres et sculpteurs allemands, je découvrais un monde nouveau. C'était à Göppingen près de Stuttgart, en Jura souabe. On est allé voir les musées à Munich. Il était fou de Wagner, tous les soirs nous écoutions de la musique : Bach, Beethoven, Haydn ; on a assisté à de nombreux concerts, c’était fabuleux. En Allemagne il y a des concours de sculptures dans presque tous les villages, pour une fontaine ou une sculpture commémorative, pour une célébrité ou pour une légende locale. Kurt a réalisé ainsi de nombreuses sculptures en bronze. Il était rédacteur en chef du magazine Graphis, équivalent de L’Œil. On allait peindre en balade des aquarelles ou réaliser des dessins sur le motif et à l’atelier on travaillait la sculpture, la céramique. J'y ai passé un été formidable. On s’est revu plusieurs fois en France, en Allemagne. C'était un bel échange, une belle rencontre, une belle amitié.

Jean-Jacques : Si on résume ton parcours, il est basé essentiellement sur du visuel et sur des rencontres.

Jean-Louis : Oui, les confrontations visuelles apportent une émulation salutaire dans mon travail, les rencontres nourrissent, elles, des productions différenciées.

Jean-Jacques : En ce moment, quel type de visuel tu rencontres et quelles personnes ont été marquantes ?

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Jean-Louis : Eh bien, c’est toujours Veličković, les peintres japonais et chinois. Les écrits de François Cheng ont beaucoup plus de résonnance pour moi maintenant, je travaille plutôt dans un esprit liant le vide et le plein.

Jean-Jacques : Tu as été sensible aux haïkus ?

Jean-Louis : Je ne les connais pas très bien. En apprenant le chinois, je rêvais de traduire les colophons qui sont sur les peintures chinoises. Ce sont des écritures calligraphiques très difficiles à décrypter, le sens de la composition est si singulier. Dans les haïkus aussi. La calligraphie japonaise, c’est encore un autre domaine. J'ai fait un trimestre de japonais, je me suis arrêté parce que 80% des caractères japonais sont des caractères chinois : les kanji, mais ils se prononcent différemment. Quand tu as appris un peu le chinois, passer au japonais est compliqué. Tu as le réflexe de prononcer chaque caractère à la chinoise et pas à la japonaise, heureusement le sens reste le même. Dans les haïkus, ce qui est intéressant c’est d’arriver à lire directement les kanji et les hiragana parce que la traduction d’un poème en japonais, en chinois ou dans d’autres langues est sujet à de nombreuses interprétations. La calligraphie des haïkus double la poésie car elle accompagne et accentue le sens du poème. Quand il y a eu l’exposition du peintre et calligraphe Ou Yang Jiao Jia à Toulouse, j’aurais souhaité qu’il fasse une intervention sur la calligraphie. Il ne l’a pas souhaité, c’est dommage, j’ai fait quelques cours avec lui, c’est quelqu’un d’exceptionnel : un maître. Le problème des calligraphies rapides, c’est qu’elles deviennent très vite incompréhensibles et donc intraduisibles. La calligraphie arabe avec Massoudy est magnifique aussi, mais pour la déchiffrer c’est pratiquement impossible.

Jean-Jacques : Tu as évoqué le geste. Je suppose que ç’a été important pour ta peinture.

Jean-Louis : Oui, la trace du geste, c’est la trace du pinceau, de la plume, de n’importe quel outil. Ça peut être juste le mouvement, l’empreinte. J'ai fait quelques gravures d’herbes, et quelques peintures, où il y a juste le mouvement. Le fond, le vide est très important pour mettre en valeur la trace, c’est sûrement le travail sur le vide qui commence après de nombreuses années à se concrétiser si je puis dire…

Jean-Jacques : … oui parce que ça prend du temps tout ça …

Jean-Louis : … il faut se re-former, ou se déformer je ne sais pas, assimiler, mettre au fond de soi …

Jean-Jacques : Dans le geste il y a aussi la répétition, il faut beaucoup de gestes pour réaliser le geste qui convient. Est-ce qu’il y a de la répétition dans ton travail ?

Rouget

Jean-Louis : Oui, pour laisser une trace, pour qu’elle soit le mieux possible, pour garder la trace du mouvement. Dans ma peinture on voit que je suis droitier, je ne travaille pas de la main gauche, ce qui est dommage parce que la trace est complètement différente.

Jean-Jacques : L’idéal serait d’être ambidextre ?

Jean-Louis : Oui, mais ce qui pour moi est important, c’est de se moquer de tous les principes, d’oublier ce que l’on a appris, d’être libre, de faire ce qu’on a envie de faire, comme on a envie de le faire. Le jugement que j’ai porté tout à l’heure sur “un mauvais travail ”, c’est idiot, c’est une appréciation personnelle sur un moment.

Jean-Jacques : Ce qui me gêne quelquefois dans la peinture, c’est quand c’est lourd. Pour moi, il faut qu’il y ait une forme de légèreté, un geste qui soit élégant.

Jean-Louis : On ne le trouve pas toujours, les moments de grâce arrivent mais pas souvent. Il faudrait avoir la sagesse de détruire et de ne conserver que ce qui paraît être l’essence de ce que l’on voulait produire. Je ne le fais pas trop, je me dis que c’est un moment, tant pis si c'est raté, je le mets de côté. Je détruis de temps en temps mais j’ai une tendance à garder.

Jean-Jacques : Tu le gardes dans l’esprit de pouvoir le retravailler, ou il ne revient jamais ?

Rouget

Jean-Louis : C’est une trace à un moment donné, on se dit ça peut être bien, je vais le garder. Si ça ne me plaît pas, je le déchire ou je le détruis, ça arrive.
Il y a une artiste que j’aime beaucoup, Fabienne Verdier, elle a été étudiante aux Beaux - Arts de Toulouse, elle est peintre-calligraphe. Elle travaille avec d’énormes pinceaux faits en crinière de cheval. Ce sont de gros pinceaux qu’elle monte sur vérin, elle fait des calligraphies de grands formats qui sont en fait de grandes peintures abstraites gestuelles qui me rappellent Hans Hartung. Elle détruit beaucoup, elle. C'est un très beau travail. Elle s’était installée à Chongqing en Chine. C'est une région très dure, très reculée quand elle y était. Elle a maintenant des facilités matérielles de vie qui ne sont pas à négliger. C'est souvent le problème dans l’art, comment peut-on s’en sortir et vivre de son travail sans faire trop de concessions ? C'est compliqué, soit on passe par des galeries et on peut être pieds et poings liés, soit on passe par des institutions officielles ou par des résidences d’artistes. Moi, actuellement, je tente de rester le plus libre possible.

Jean-Jacques : Tu n’as jamais été affilié à une galerie ?

Jean-Louis : Je m’entends très bien avec la galerie le Palladion, mais je n’ai jamais eu de galerie attitrée. Je me suis toujours débrouillé soit avec des municipalités, soit avec des lieux un peu insolites, un entrepôt, des centres culturels, des ateliers ou le mien. Un collectionneur de Bergerac m’avait organisé une expo en 90, dans un centre culturel magnifique. Il est décédé avant le vernissage, je lui ai rendu hommage, à cette occasion j’avais mis une centaine de peintures. Il avait tout organisé, c’était extraordinaire. Ce sont des lieux atypiques qui m’interpellent. Dans un entrepôt prêté pour un week-end dans la zone industrielle de Fondeyre, à Toulouse, c’était très bien, c’était accroché sur des racks que j’avais recouverts avec du film étirable noir pour protéger les marchandises entreposées, l’exposition fut un de mes plus beau succès.

Jean-Jacques : En tant qu’enseignant, tu n’as jamais exposé dans les lycées et les collèges ?

Rouget

Jean-Louis : Si, j’ai exposé au collège de Villemur dans le cadre de « l’art à l’école », à Sainte-Marie-de-Nevers. Au CFA de Muret j’avais fait une expo sur les machines pour des élèves mécaniciens. J'avais rajouté un piston à un moteur, je ne m’en étais pas rendu compte, mais eux l’avaient bien vu et mon moteur ne pouvait fonctionner. Pendant très longtemps j’ai été à Muret et j’ai emmené régulièrement mes élèves des métiers d’art au Majorat à Villeneuve Tolosane voir les expos, on allait aussi au Château d’Eau. On partait à Visa à Perpignan, aux Rencontres d’Arles … Je les incitais aussi à rencontrer les éditeurs qui publiaient des reportages photos. J'essayais de leur présenter des notions d’histoire de l’art, de la photographie, c’était passionnant. J'avais aussi des élèves bijoutiers, on participait avec succès à des concours, à Lyon, à la biennale de Bâle en Suisse. C'est comme ça que j’ai rencontré Jacques Dieudonné, un formidable sculpteur, il était prof de modelage et de bijouterie, il avait fait les Beaux - Arts au Québec. On a réalisé ensemble de bons projets.

Rouget

Jean-Jacques : Tu es allé voir les bijoux de Salvador Dalí ?

Jean-Louis : Oui, on allait quelquefois à Port Lligat et Figueras. J'essayais de les emmener au musée des Abattoirs, à la Fondation Bemberg. Ce n’était pas toujours facile, mais il fallait le faire parce que ce seraient peut-être les seules fois où ils iraient dans ces lieux et que peut-être plus tard ils y emmèneraient leurs enfants avec plaisir. J'ai encore pas mal de contacts avec d’anciens élèves et il m’est arrivé d’avoir des retours encourageants. J'ai un ancien élève photographe, Laurent Loubet, qui a fait une expo au Majorat. Il y a une transmission, une filiation qui est aussi pour nous enseignants notre seule récompense. Pour moi l’enseignement est un échange. Je n’ai jamais voulu avoir en classe un bureau, je me trouvais à la même hauteur que mes élèves. Ils m’apportaient autant que j’essayais de leur apporter.

Jean-Jacques : Est-ce qu’il y a des questions que tu aurais voulu qu’on aborde, qu’on n’a pas évoquées et qui te tiennent à cœur ?

Rouget

Jean-Louis : Oui, j’ai eu la chance de travailler de 1986 à 1999 dans l’ancien atelier du peintre Henri Martin à Labastide-du-Vert dans le Lot. On me prêtait ce lieu extraordinaire qui comportait encore l’énorme chevalet à crémaillère du maître. 13 années de bonheur, peindre les verrières de l’atelier marquées par le temps, fixer sur la toile la relation entre l’intérieur et l’extérieur, la grande porte bleue, peindre les fenêtres, les cyprès, les alentours de l’atelier, les paysages qu’il avait peint des décennies avant au milieu d’une nature retournée à l’état sauvage. Tout prenait là une autre dimension, une maturité semblait s’accomplir doucement. Pour remercier du prêt de l’atelier, j’organisais des stages de peinture qui eurent un réel engouement, les stagiaires venaient de toute la France, c’était formidable.
J’ai bien aimé aussi les expos qu’on a faites au Palladion sur des thèmes, comme aux Méridionaux. Je trouve que le thème est porteur de projet et m’offre la possibilité de réaliser, en réponse, des peintures différentes.

Jean-Jacques : Quand tu évoques ça, il y a aussi la provocation. On découvre un autre horizon et ça peut avoir des effets sur son propre travail. C'est aussi la confrontation avec les autres.

Jean-Louis : Bien sûr, la confrontation crée des rencontres et inversement, il y a des préférences, des surprises, des choses qu’on n’aurait pas faites comme ça, mais qui par ce jeux visuel, entre eux et moi, donne des productions enrichies de ces nouvelles perspectives.

Jean-Jacques : On n’a pas encore évoqué la question de savoir si tu peins à l’huile ou selon d’autres techniques.

Rouget

Jean-Louis : Je peignais à l’huile, aujourd’hui je préfère l’acrylique. Dans un atelier qui donne directement sur la maison, l’huile est un sacré problème. Quand j’étais jeune, je travaillais à l’huile dans ma chambre, c’était très efficace pour les maux de tête … L’acrylique donne autre chose, j’aime bien travailler rapidement : elle peut se travailler comme l’aquarelle ou l’huile. Quand je travaillais à l’huile, ce n’était pas pour des superpositions, des glacis, car je travaillais dans le frais. Toutes les techniques sont bonnes à exploiter : l’aquarelle, la gouache, le dessin, la gravure, il faut savoir s’adapter et savoir les utiliser pour une plus grande liberté. Plus on a de techniques diverses, mieux c’est !

Jean-Jacques : Pour les dessins, on a évoqué les papiers. Tu as des préférences, des papiers avec lesquels tu aimes travailler ?

Jean-Louis : Non, je prends ce que je trouve, mais j’aime bien collectionner les différents papiers, j’ai rapporté des papiers de Chine et du Japon. Les papiers chinois sont très particuliers, ils sont très poreux, ils sont faits essentiellement pour l’encre, donc il faut avoir un feutre dessous pour qu’il pompe le surplus d’encre. C'est très étrange comme matière. Je n’aime pas forcément ce type de papier, mais de temps en temps je l’utilise pour faire des semblants de calligraphie, pour maintenir le poignet, le bras. J'aime bien les papiers un peu costauds, notamment pour la gravure, les papiers assez épais : les Arches qui résistent bien à l’eau. Les papiers trop fins, quand tu les trempes pour l’impression, ils se délitent mais cela peut donner un support qui surprend. Le papier, c’est un monde fabuleux, c’est aussi un outil. Quand Catherine Estudié grave le papier, la rainure réalisée dépend de la qualité du papier et de l’outil qu’elle utilise. S'exercer à tous ces matériaux, à tous ces outils proposés ou inventés sert notre pratique, ce qui permet une plus grande liberté de réalisation. Cela demande une ouverture d’esprit et surtout d’être curieux, d’être en éveil !

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Entretien réalisé le 14/06/2022 à Toulouse

Rouget

Regard du vent

Nées à l’instant

Élancement pur

Chemin profond

Feu noir de l’été

Exultation

Hautes fragrances

Présages et signes

Révélation première

Jamais plus

Passage du souffle

Silence mat

Marcher seul



Marc Nayfeld


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