La chanson 'le temps des cerises' a sa place dans notre patrimoine immatériel : elle appartient à tous. Parcourir les œuvres de ce Salon, c'est approcher un peu les raisons d'un succès rarement égalé.
J.B. Clément a enrichi son œuvre, a posteriori, d'un sens révolutionnaire toujours très actif. La vieille métaphore de la blessure amoureuse a son charme dans la romance, mais il est clair qu'elle a fait son temps : beaucoup d'artistes choisissent de voir dans le rouge de la cerise la couleur d'un sang tristement réel, celui qui coule quand la violence se déchaine. En volume ou sur une œuvre plane, les barricades se hérissent, la Commune flambe avec ses combats sanglants et ses victimes. Certains œuvres embrayent sur d'autre insurrections, comme celles de juin 1832 à Paris, Gdansk en 1980, mai 1968 ou encore les révolutions arabes : les barricades et les cadavres sont de tous les temps.
Toute autre est l'atmosphère quand la cerise reste le beau fruit des marchés et de notre univers familier. Les paniers, les cahiers et les pendants d'oreilles nous ramènent à nos premières années. Ne sont oubliés ni la gourmandise qui n'a pas assez de mains pour saisir l'énorme cerise, ni les petits noyaux qu'il faut apprendre à recracher et qui peuvent, entre les mains d'un plasticien, devenir le matériau même de l'œuvre. Enfantine, la cerise se prête volontiers à la fantaisie et au merveilleux : elle s'anime en personnage de conte ou se permet d'envahir le paysage toulousain pour le transformer en Eden naïf. La cueillette peut devenir une danse fantastique ...
Le 'temps des cerises' inclut évidemment celui de la floraison. Ici, il y a polémique : fleurs blanches, roses, ou même... bleues ? De fait, l'essentiel n'est pas leur couleur, mais leur qualité vaporeuse, aérienne, presque céleste. Dans le même esprit, la cerise elle même, escortée d'oiseaux, bercée dans les hauteurs par les souffles de l'atmosphère, émane du cosmos. Elle peut ainsi se dématérialiser et devenir... blanche.
Mais beaucoup de plasticiens se laissent surtout tenter par la sensualité de la cerise adorablement charnue, arrondie, rutilante. Isolée ou offerte en masses, en grappes, en coulées, elle explose en taches, géométriques ou pas, mais d'autant plus rouges que serrées de près par des bleus profond ou par le vert complémentaire.
La cueillette peut être joyeuse ou rêveuse, mais les feuillages luxuriants entourent la cerise, de même que les graminés serrées au pied de l'arbre, illustrent la profusion végétale de juin. C'est la fête somptueusement colorée de l'energie vitale. Les robes sont transparentes, les cerises suggestives (les clins d'œil sont permis !). Voila les jeux de l'amour, de l'érotisme, de la passion incendiaire. Egalement désirées, la femme et la cerise sont étroitement associées.
'Mais il est bien court, le temps des cerises', déplore le poème, secondé efficacement par la mélodie si mélancolique. La rondeur de la cerise est suave, mais cette même rondeur, d'une autre façon, la rapproche aux sévères rouages d'horlogerie. Le temps fuit, la vie est fragile, la fosse béante. Par un autre chemin, on retrouve la mort et sa violence. L'érotisme a des affinité avec la mort. Parfois, la joie de vivre et la tragédie se partagent la surface du tableau. A moins qu'il ne reste plus que le cerisier mort, ou porteur d'étranges fruits rouges.
Bien court, ce temps des cerises, mais d'autant plus précieux. Sans cerises à désirer, à piller, nous habiterions un monde gris et mort, prisonniers de nos solitudes entourées de murs. La cerise est une petite merveille ! Qui reste peut être inaccessible, comme toute merveille, fruit défendu dans un jardin interdit.
Le Salon rend cette année un juste hommage aux riches qualités de la cerise et de sa romance. Le printemps et l'été, l'ailleurs et l'enfance, le désir et l'amour, le temps, la révolte et la violence... autant de sujets sensibles dans le cours de toute une vie.
Elisabeth Aragon
Le prix de la SAM a été attribué à Laurent MALIGOY pour son tableau 'Alice au pays des vermeilles'.
Le prix de la ville de Toulouse à Michel GRAU pour son tableau 'Cerises aux noyaux bleus'.