Photo de Toulouse

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Alain CASADO

Nous sommes dans le centre de Toulouse. Mais sitôt franchie la porte qui donne sur l’avenue, le silence nous protège de la rumeur urbaine. Un premier couloir, puis une courette, puis une deuxième porte. Un nouveau couloir et nous voilà dans un salon où sont exposés plusieurs tableaux d’autres peintres qui entourent de leur amitié quelques œuvres d’Alain Casado. Sur un côté du salon, par une porte-fenêtre, on devine un jardin entouré de hauts murs. L’amitié et l’amour tiennent une place essentielle dans la vie et dans le travail du peintre qui nous reçoit ce jour-là. Les lieux en témoignent immédiatement, et les tableaux d’Alain Casado en reçoivent une grande part de leurs couleurs et de leur lumière.



</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Jean-Jacques Comment es-tu arrivé à la peinture ?

Alain Il faut remonter à mon enfance. Comme disait ma mère "j’ai toujours vu mon fils dessiner." J’avais deux passions : la peinture (et le dessin) et le football. La "parenthèse" du travail a duré 40 ans, au début dans l’enseignement ensuite dans la direction d’établissement. Une parenthèse que je ne regrette pas du tout : j’ai rencontré des gens extraordinaires, des élèves très attachants, quelquefois les plus difficiles d’ailleurs, ceux qui souvent reviennent nous voir. J’ai toujours été un homme de projets, j’ai eu de la chance, à tous les niveaux, que ce soit avec les collègues, en tant que chef d’établissement, dans les relations avec la direction diocésaine, j’ai pu mettre en place un certain nombre de projets, dont l’Art à l’École avec Roland Boo.

Jean-Jacques Tout petit, tu dis que tu dessinais, qu’est-ce que tu dessinais ?

Alain J’aimais beaucoup le dessin, je regardais les livres d’art, et plus tard je m’intéressais à l’École de Barbizon, à Corot, Daubigny et puis les Impressionnistes. C’était quand je suis entré au collège, même un peu avant, vers 10 / 11 ans. Encore avant, au CM1, l’institutrice m’avait fait faire une gouache, c’était un paysage. En regardant ce que faisaient mes camarades, j’avais vu que c’était un peu mieux que les autres et ils me le disaient aussi. Je me suis dit que j’étais capable de faire quelque chose. Ç’a été un encouragement. Plus tard c’est surtout mon professeur de collège qui m’a demandé ce que je faisais en dehors de l’école, il m’a encouragé. Il m’a dit "quand vous aurez fini vos études, je vous conseille d’entrer à l’École des Beaux-Arts." Je faisais aussi, à côté de ça, des reproductions. Ma mère avait un salon de coiffure, ç’a été mon premier lieu d’exposition …

Jean-Jacques … ton premier Salon …

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Alain … oui ! J’essayais de reproduire le mieux possible. Je peignais à l’huile, il fallait que la peinture s’oxyde, alors ma mère les accrochait dans le salon. Et j’ai fait mes premières ventes ! Parallèlement à ça, je lui décorais les vitrines. Il y avait des contraintes, il fallait montrer de belles coiffures, des coiffures qui changeaient en fonction de la mode. Je faisais aussi ce qu’on appelait à l’époque des posters. J'ai dû faire tous les artistes de l’époque, Polnareff, Johnny Halliday, Julien Clerc, des posters psychédéliques. Ensuite, ma mère m’a mis en cours privé avec un artiste qu’on a retrouvé plus tard comme candidat au Salon des Méridionaux. J’étais élève chez le Frères des écoles chrétiennes. Ils ont appris que je faisais de la peinture, des posters et pour les fêtes de fin d’année ils m’ont demandé si j’accepterais de leur peindre des posters. Pendant l’entracte ils vendaient les posters aux enchères. Voilà les souvenirs de jeunesse. Après, il a fallu attendre l’École des Beaux-Arts, et là ça n’a pas été facile …

Jean-Jacques Avant la période de l’École des Beaux-Arts, tu parlais de ton intérêt pour l’École de Barbizon, comment tu connaissais ces peintres ?

Alain C’était surtout Corot, Daubigny. J'y avais accès par des livres d’art que collectionnait mon Père. Et ma mère voulait absolument que je m’épanouisse. Sans ma mère je n’aurais pas fait de peinture. Mon père était plutôt opposé à ce que j’entre à l’École des Beaux-Arts. Il avait fait toute sa carrière à Latécoère, il me disait "puisque tu aimes le dessin, moi je te vois dessinateur industriel." Par contre ma mère m’a vraiment aidé, elle m’a toujours soutenu. Donc j’ai pu continuer et après mes études secondaires je suis entré à l’École des Beaux-Arts. Cela a été le début d’une nouvelle vie, ç’était complètement différent pour moi.

Jean-Jacques Qu’est-ce que tu as découvert à l’École des Beaux-Arts ?

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Alain J’ai découvert d’abord un univers que je ne connaissais pas du tout. J’étais d’un milieu lasallien … Surtout que je suis entré en 1971-72, après "68". Chacun pense ce qu’il veut de cette période, tout n’est pas à prendre, tout n’est pas à jeter. Mais pour les élèves que nous étions à l’époque, c’était assez dur parce que des professeurs étaient déjà sous l’influence des courants parisiens qui faisaient la loi, et il y avait les autres qui voulaient continuer à nous apprendre et qui étaient souvent muselés par les premiers. Pour des gens comme moi qui étions là pour apprendre ça n’a pas été évident. On était amené à vivre les conflits entre les profs. Je n’ai rien contre ceux qui tendent des fils colorés mais les élèves de certains professeur, par exemple, faisaient ce genre de choses, ils avaient vite fait de faire le boulot et ils venaient nous déranger, nous dire "mais non, ne faites pas ça, venez nous rejoindre, l’art ce n’est pas ça !" C’était vraiment très compliqué, élèves et profs on a eu du mal.

Jean-Jacques Oui, parce qu’il y avait quand même des techniques à apprendre, et après 68 il n’était plus question de technique mais d’expression.

Alain Voilà. On a passé deux années probatoires. Moi j’étais venu pour faire le professorat, qui existait encore à l’époque, et puis malheureusement il a été supprimé. Il fallait finir les Beaux-Arts et ensuite préparer le concours, ce que j’ai fait. L'idée de deux années probatoires était excellente, au moins au début, parce qu’on rencontrait de nombreux professeurs. J’ai étudié avec Chaigneau, Giner, Boyer, Mangion, Goegebeur, Marze, Salillas, Zavaroni, etc. des gens avec qui j’ai gardé des contacts, beaucoup sont partis au paradis des peintres malheureusement. L'idée était excellente mais le problème était qu’ils faisaient tous un peu la même chose. Donc quand on avait fini avec l’un le travail sur le fond et la forme on reprenait avec un autre ce même travail et idem pour le collage des petits points noirs sur fond blanc ou l’inverse. Moi qui étais là pour la peinture et le dessin, ça m’a un petit peu changé. Une fois j’ai eu le malheur de vouloir montrer ce que je faisais à un prof – c'était un tableau un peu dans le style de Corot – il m’a dit "ça c’est pour mettre au-dessus de la cheminée de la grand-mère." Voyez les encouragements ! On faisait aussi des cercles chromatiques, des dégradés, l’étude de la couleur. Avec les sculpteurs c’était plus intéressant parce qu’on apprenait à chaque fois une technique différente.

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Il y avait aussi les cours de dessin, de français, d’anglais, d’histoire de l’art, le cours morphologie et structures, si on était assidu on arrivait à avancer. Au bout de deux ans on entrait en atelier. Je suis allé chez Jacques Fauché. C'était un personnage à l’École des Beaux-Arts. Il avait une belle notoriété. Au bout d’un an d’apprentissage nous connaissions parfaitement les problèmes de la couleur. Il avait mis en place une théorie de la couleur, qui arrivait à ce qu’on appelle "la toile blanche". Vous verrez tout à l’heure, quand on sera dans l’atelier, j’ai préparé quelques toiles pour vous montrer. On était amené à travailler dans le style de Fauché, mais chacun gardait tout de même sa personnalité. Moi j’étais plutôt figuratif, donc je me suis détaché un peu des structures abstraites qui amenaient à la toile blanche pour partir de l’image et arriver au même résultat. La base était une image, elle s’estompait forcément par le jeu des couleurs. En 4ème année, j’ai demandé au directeur de l’École si je pouvais travailler dans un autre atelier. Ce que j’attendais des Beaux-Arts c’était de rencontrer des grands maîtres, des gens qui ont une aura, une certaine personnalité, comme on voyait autrefois dans les ateliers, et je ne l’avais pas encore vu. Alors il m’a permis d’aller chez Louis Louvrier, Maitre graveur. Et là j’ai découvert une personnalité. Avec Yvan Massiac, un ami que je vois toujours, qui peint aussi, tous les deux on est parti chez Louvrier suivre ce cours. On est resté six mois et là on a appris la gravure, l’eau-forte, le burin, l’aquatinte. Je n’étais pas précisément porté sur ce domaine d’expression, mais au moins j’ai appris, on avait de véritables conseils. Après j’ai bien vu que je n’étais pas fait pour ça, j’ai tiré quelques gravures mais la couleur me manquait. Ça m’a servi tout de même ensuite dans le dessin, dans mes tableaux. J'ai continué mes études et obtenu mon diplôme. J'allais voir les cours de Schintone, son enseignement était complètement différent. Il était mis à l’écart par les autres, il n’entrait pas dans les créneaux des directives venues de Paris. Mais il avait ses fans, c’était aussi un personnage très attachant, d’une grande culture. Il m’a invité dans son atelier plusieurs fois. À Toulouse il y avait deux grands peintres : Schintone, figuratif, qui exposait à la galerie Chappe Lautier , rue du Poids de l’Huile, puis chez Simone Boudet, rue Genty Magre, et Igon, l’abstrait lyrique, qui était chez Protée, rue Croix-Baragnon. C'était les deux grandes galeries, les figuratifs chez Simone Boudet, les abstraits chez Protée. J'ai eu la chance de connaître Pierre Igon. Son atelier était rue de Belfort, donc près d’ici, j’allais le voir. Autant Schintone était loquace, autant Igon était très réservé, timide, replié sur lui-même. Il était aussi très sympathique, j’ai passé avec lui de très bons moments. Ce sont des personnes qui ont compté pour moi.

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Jean-Jacques Tu as connu une grande variété de courants, c’est plutôt une richesse.

Alain Oui, mais au point de vue de l’apprentissage, il y avait tellement de retenue après 68, on n’en a pas vraiment profité. Je l’ai observé avec Gui Boyer, qui est aussi devenu un ami, et Maïté, son épouse : quand j’ai découvert son travail, que j’ai vu plus tard, très influencé par Bergougnan, il faisait une peinture extraordinaire, et quand je compare ce qu’on a appris avec lui aux Beaux-Arts, je me dis que c’est dommage.

Jean-Jacques Ils étaient dans leur monde et ils avaient du mal à le faire partager.

Alain Ce n’était pas évident pour eux mais encore moins pour les étudiants.

Jean-Jacques Mais toi, tu avais des intentions. À partir de cette expérience, tu pouvais faire les différents liens, prendre de chacun ce qui t’intéressait.

Alain C’est vrai, avec le recul, chacun m’a apporté quelque chose. Sur le moment, quand on est jeune, on a envie que ça aille vite, on ne se rend pas compte de l’héritage qu’on va retenir, finalement une grande richesse avec presque tous.

Jean-Jacques À partir de là tu as pu créer ton style.

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Alain J’étais attiré par la couleur. Très tôt, je reproduisais, j’étais intéressé par tout ce qui était plus figuratif qu’abstrait, même si en tâtonnant j’avais copié des Picasso abstraits. Avec mes petites connaissances d’avant les Beaux-Arts, puis ce que j’ai appris aux Beaux-Arts, s’est dessiné ce que tu appelles un style, moi je dirais une petite touche personnelle, que je revendique par contre.

Jean-Jacques Oui, quand on regarde tes tableaux, on reconnait que c’est toi, et la première chose qu’on repère, c’est la couleur justement. À un moment tu as parlé de Renoir, on retrouve des aspects qui pourraient appartenir à Renoir.

Alain On le verra tout à l’heure dans l’atelier avec quelques tableaux. J'ai beaucoup copié Renoir, son côté intimiste me plaisait. J'ai besoin d’un univers, et dans mon univers j’ai besoin d’aimer, aimer mes proches, bien sûr - sans mes proches je ne sais pas si j’arriverais à peindre d’ailleurs - et dans tout ce que j’ai fait, dans tous mes investissements j’ai besoin d’avoir des amis, un monde dans lequel je me sente bien. C’est comme avec les Méridionaux, je me suis senti bien dès le début en 1985. Je sens qu’il y a une réciprocité. J'ai besoin aussi de leur montrer que je les aime, je n’ai pas peur de le dire.

Jean-Jacques Tu dis que tu reproduisais. Quand est-ce que tu as quitté la reproduction pour faire des choses plus personnelles ? Je pense que c’est en lien avec ce que tu dis, l’amour. Parce que les premières représentations que tu as faites, c’était qui ?

Alain Mon épouse, Bernadette. La personne que j’aime, ma muse. C'est elle que je montrais dans mes toiles de différentes façons. Elle s’y trouve encore. C’est son jardin qu’on voit par la porte-fenêtre, et souvent je m’inspire de ce jardin, elle est toujours en train de le transformer. Même si son image n’est pas toujours présente, elle existe à travers le jardin.

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Jean-Jacques Donc c’est la couleur, et l’amour.

Alain Absolument, et après les enfants sont arrivés, et les petits-enfants, et le monde qui m’entoure. Ç’a été tellement important dans les moments difficiles de ma vie.

Jean-Jacques Finalement tu trouves ton sujet, comment tu le développes ? Ce sont les évènements, les rencontres, les instants ? Comment les toiles arrivent ?

Alain Il y a un peu tout ça, les rencontres c’est très important. Ce qui a été difficile c’est de basculer de mon monde d’avant les Beaux-Arts à celui des Beaux-Arts qui était complètement différent, puisqu’on m’avait fait comprendre que ce que je faisais avant n’était pas terrible, mais moi je ne voulais pas le quitter. Donc je me suis servi quand même de ce que j’exprimais avant, je l’ai mis dans le moule de ce qu’on m’a appris, mais avec toujours ce souci de la couleur, et avec mon filtre c’est devenu progressivement ma peinture.

Jean-Jacques Tu avais l’imaginaire, qui a été perturbé par les Beaux-Arts, mais tu t’es servi de ce que tu avais appris aux Beaux-Arts pour revenir sur ton imaginaire et le construire avec les éléments que tu pouvais rencontrer.

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Alain Oui, j’ai cheminé j’ai cherché autour de ça. Je n’aime pas le terme "évoluer" parce que je ne renie pas le passé, je vous le montrerai. Je crois que tout sert, tout apporte quelque chose, et qu’on refait finalement la même peinture, beaucoup le disent. En revanche, je n’aime pas refaire à l’identique, j’ai fait beaucoup de peintures différentes et je suis content d’entendre dire qu’on reconnait un Casado. Mais je ne me vois pas faire ce que je faisais dans les années 70 / fin 70. Et puis je n’ai jamais été tributaire d’un commerce, je ne vis pas de ma peinture, j’ai pu faire le professorat. Ça m’a laissé libre toute ma vie de faire des choses différentes et de les montrer, j’ai pu faire toujours ce que j’ai voulu.

Jean-Jacques Tu as été introduit dans le circuit des galeries à Toulouse. Comment ça s’est passé, comment c’est arrivé ?

Alain Chez Simone Boudet, ç’a été très naturel. Elle m’a contacté, tout simplement, parce que j’avais fait déjà quelques expositions, participé à des Salons. C'est loin tout ça … Je suis devenu, comme elle disait, un de "ses peintres". Chez elle on se retrouvait certains soirs autour du grenache, à discuter, à refaire le monde et en même temps regarder les tableaux. Parce que j’aime bien être assis à regarder, puis me lever pour les observer de prés. Jean Boudet venait nous retrouver, il partageait les petits gâteaux, biscuits d’apéritif. C’est là que j’ai connu Jean-Jacques Corneille, Bernard Ryon, Carlos Pradal, Kablat, et les dernières années Philippe Vercellotti. J’avais besoin de ce côté convivial. Dans les galeries où je ne me suis pas senti à l’aise, où le commerce prévalait, je n’ai pas tenu, je suis vite parti. Mais là, elle correspondait à ce que j’attendais. Ensuite, en 97, 98, j’ai passé deux années difficiles, j’ai eu mon premier cancer. Deux ans difficiles où ma famille, mes amis, bien sûr mes médecins, et ma peinture m’ont aidé. À l’hôpital, pendant un moment, la situation n’évoluait pas, les protocoles ont changé. Donc il faut se battre. À un moment donné, j’ai passé un mois dans une chambre stérile. Pour y accéder, il faut une sorte de combinaison, un masque. Et moi j’avais fait stériliser mes pastels, mes couleurs, mes papiers, et à l’intérieur je dessinais, je peignais. Les infirmières venaient me voir, le temps passait plus vite. Donc la peinture, je ne l’ai jamais abandonné. Et puis je pensais peinture.

Marc Justement, dans un des écrits que tu nous as envoyés, tu dis que tu te représentes mentalement de futurs tableaux.

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Alain Oui, je pensais peinture et même maintenant j’aime bien m’endormir avec des idées, parfois il me tarde de pouvoir revenir dans l’atelier, pour commencer à les mettre en œuvre.

Marc C’est tout un travail mental que tu as mémorisé et que tu as pu réinvestir ensuite quand tu as été de retour.

Alain Exactement, que j’ai réinvesti quand j’ai pu commencer de nouveau à peindre. Je considère que ç’a été pour moi une étape. C'est peut-être difficile d’arriver à le comprendre. Mais une étape bénéfique pour moi. Il y en a eu plusieurs, je ne le savais pas à l’époque, une étape qui m’a aidé à me construire aussi et à peut-être devenir véritablement moi, ce que je suis aujourd’hui. Parce que la vie c’est comme ça, ce n’est pas évident d’accepter tout ça. J'ai eu beaucoup de chance et quelque part ça m’a aidé. Peut-être que j’aurais été un idiot fini si je n’avais pas connu ça. Et puis j’ai vu tellement de gens qui m’ont aidé, particulièrement mon épouse, et mes enfants bien sûr, qui étaient jeunes à l’époque.

Jean-Jacques Et par rapport à la peinture, ces épreuves ont changé des choses ?

Alain Ah oui ! Ça m’a donné plus d’audace. Parce que finalement je faisais une peinture assez léchée, comme on dit, une peinture faite d’aplats. Ça m’a donné de l’audace et d’ailleurs je pensais, quand j’étais hospitalisé, à ce que me disait Marie Banégas, une amie peintre de Montpellier. Elle me disait "ce que tu fais c’est bien, mais je te connais, je suis sûre que tu es capable de faire autre chose, quelque chose de plus fort." Et c’est toujours resté dans ma tête. Je n’osais pas et quand je suis reparti, après mon cancer, ça m’a libéré, et puis on ne sait pas combien de temps on va durer après. Aujourd'hui j’ai la chance d’avoir un recul, mais on ne sait pas … On va dire que je fais les choses un peu plus vite … Ç’a été un tournant dans ma vie.

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Jean-Jacques Quand tu dis "oser", c’est introduire des matières …

Alain … voilà, travailler en relief, travailler autrement la couleur, ne plus se limiter à ces aplats, ces superpositions que je faisais. J'ai eu envie de travailler différemment. C'est à la même époque que Simone Boudet est décédée, en 99, et Ghislaine Le Luhandre est venue me proposer d’exposer à Art Sud et c’est chez Art Sud que je suis reparti avec ces nouvelles réalisations. J'ai toujours été fidèle à mes galeries. Chez Ghislaine Le Luhandre, j’ai retrouvé cette ambiance familiale, avec des gens différents. J'ai retrouvé Schintone, Chaigneau, des anciens professeurs, Faup, Jacques Joss, Salavera …Elle exposait aussi beaucoup d’artistes catalans. On se retrouvait, on refaisait le monde … Dans ma dernière galerie, au Palladion, ç’a été aussi une belle rencontre. Jean-Henri Escoulan, que j’estime beaucoup, connait bien la peinture, fait des accrochages de qualité avec Céline. Je lui fais totalement confiance, c’est lui qui accroche, l’artiste ne participe pas. On se connaissait déjà parce que Jean-Henri venait dans les manifestations que j’organisais pour l’Art à l’École. J'avais participé à des expositions chez lui quelques années avant, des expositions à thème.

Jean-Jacques … vous refaisiez le monde de la peinture …

Alain … oui, il y avait des artistes qui passaient, on se retrouvait autour du poêle, c’était la même ambiance que chez Simone Boudet.

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Jean-Jacques Ça amène des idées aussi. L'imagination, il faut qu’elle se nourrisse des rencontres, des échanges, des discussions.

Alain Oui, j’ai certainement reçu des influences et pris parfois des directions différentes.

Jean-Jacques Tu as des moments privilégiés pour peindre ?

Alain À l’époque de mon activité professionnelle, je travaillais souvent la nuit. Ce n’était pas facile, mais j’étais tombé sur des directeurs très compréhensifs qui me faisaient un bon emploi du temps. Ce qui me permettait à la fois de travailler, si j’avais l’inspiration, une grande partie de la nuit, ou même de pouvoir quitter l’établissement le jeudi soir et de ne pas travailler le lundi matin et d’avoir quelques jours pour monter sur Paris, faire des expos, assister à des vernissages. Ç’a été une grande partie de ma vie. J'étais le peintre des jours fériés et des jours de vacances. Depuis que je suis à la retraite je peux peindre tous les jours. J'ai l’atelier en descendant de la chambre, je peux très bien m’arrêter pour peindre, ne pas voir le temps passer, ou même le soir je passe pour aller me coucher, je suis arrêté par ma toile, je me remets à peindre.

Jean-Jacques C’est toujours à l’huile que tu peins ?

Alain Non. Je peins quelquefois à l’huile, mais depuis mon premier cancer les odeurs m’indisposaient énormément. Tout ce qui est solvant m’indispose énormément. Alors qu’à l’époque je faisais beaucoup de sérigraphie, j’avais d’ailleurs un atelier de sérigraphie. Et en sérigraphie les odeurs sont très fortes. Maintenant je travaille à l’acrylique et en général je n’emploie pas qu’un seul matériau, je mélange les techniques. Je m’étais habitué à travailler avec l’huile, ça m’a changé. J’ai travaillé avec l’huile jusqu’à mon premier cancer. Cela dit, l’acrylique a un inconvénient car je n’utilise pas de retardateur : ça sèche vite, alors quand je fais des détails il faut maîtriser ! Heureusement que j’ai du métier.

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Marc De l’endroit où on se trouve on voit un tableau tout près de nous. Si tu l’exposes ici, c’est qu’il a peut-être une valeur particulière ?

Alain Non, ce tableau je l’ai déjà exposé au Salon des Méridionaux pour la salle de la mairie. Une fois les tableaux terminés je les laisse dans cette pièce, et puis je les regarde, et puis quelquefois je vais les reprendre, je les remets dans l’atelier et je les retravaille. Ça m’arrive de revenir sur un tableau, parce qu’un tableau il faut bien l’arrêter à un moment, mais de temps en temps j’y reviens. Et à côté de mes tableaux, il y a mes amis peintres. Et ça tourne parce que j’aime bien acheter de la peinture, on a beaucoup de tableaux.

Jean-Jacques Tu as un format de prédilection ?

Alain Actuellement, mes formats de prédilection c’est du petit, 20 x 20, au 100 x 100. Je travaille aussi sur des formats 30 x 100. Ce sont mes trois formats préférés. J'aime bien aussi passer d’un petit format à un très grand. Je prends ça comme un challenge parce que ça demande un effort. Ça change beaucoup pour la couleur. Je le fais très régulièrement. Ça m’apprend, je n’aime pas rester sur un sentiment de satisfaction. Pour les Méridionaux par exemple, pour notre Salon annuel, on demande à tous les artistes de faire un 30 x 30 et un tableau plus grand. En passant du 30 x 30 au grand format, j’ai été amené à faire des modifications parce que ça ne fonctionnait plus. Il faut modifier soit des valeurs de couleur, soit quelquefois certaines formes. Pour le thème de La vie en rose, j’avais fait le petit d’abord, qui m’avait servi de maquette, et après le grand. J’avais été obligé de modifier les couleurs. Mais on n’y pense plus, ça se fait naturellement. En plus je n’aime pas refaire la même chose. Plusieurs fois dans une même expo, quatre ou cinq personnes vont vouloir acheter le même tableau. Alors certains me disent "est-ce que vous ne pouvez pas le refaire ?" Non, je ne peux pas, ce serait vraiment faire de la copie. Bien sûr, quand on vend un tableau, ça fait plaisir, on se dit cette personne a eu plaisir à le voir et va jusqu’à l’acheter.

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Jean-Jacques Il y a le plaisir mais c’est aussi une forme de reconnaissance. Tu as une production, tu accumules, ce sont des tableaux qui te restent, que tu as montrés, mais finalement c’est toi qui les as, le partage ne se fait plus. Quand on peint c’est aussi pour partager.

Alain C’est partager un instant de plaisir en laissant le spectateur libre. Une fois que la toile est accrochée au mur, elle doit se défendre toute seule. J'accepte que les gens aient une autre interprétation que moi. L'essentiel, c’est ce moment de partage. Pour moi, l’art doit être universel, c’est pour ça que je ne pourrais pas travailler dans l’abstraction. C'est vrai que par moment mon sujet est fortement atténué. Mais je reste un peintre figuratif. Parce que rester figuratif permet de rester à mon sens plus universel et l’on ouvre plus de gens à s’intéresser à la peinture.

Jean-Jacques Comme tu dis que l’imagination pour toi est importante, les relations, les amis aussi sont importants. Dans ton imaginaire tu vas retrouver des personnes, elles ne peuvent prendre une forme abstraite. Est-ce que tu souhaiterais aborder d’autres questions, que nous aurions peut-être laissées de côté ? Ou quelque chose que tu aimerais dire ?

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Alain Non, je pense que d’autres questions vont peut-être venir en regardant les tableaux dans l’atelier. Mon atelier n’est pas très grand mais il me convient parfaitement.

Jean-Jacques Tu disais tout à l’heure que tu peignais la nuit, donc c’est en lumière artificielle.

Alain Oui, globalement j’ai plus travaillé en lumière artificielle. J'ai un éclairage qui reproduit la lumière naturelle. Il m’arrive rarement de travailler dehors. Les gens viennent vous voir peindre et je n’aime pas trop m’exposer.

Jean-Jacques Mais il y a une forme de plaisir à peindre dans la nature.

Alain Ce que je fais, ce sont des petites maquettes, des croquis, des photos aussi. Dans un tableau j’aime assembler plusieurs croquis, partir de plusieurs photos, de bribes de souvenirs et ça devient autre chose. Bien sûr on reconnait (ou on ne reconnait pas, ce n’est pas important), l’important c’est la peinture, même si on part de la nature. La nature, je suis incapable de faire mieux. Elle est une source d’inspiration, ensuite je prends des bribes, je reconstruis, puis j’arrive au tableau. Et tout en travaillant, la couleur vous guide aussi. Donc il y a forcément des choses qu’on va changer. Ce n’est jamais les couleurs que j’ai vues puisque je suis guidé par la peinture. Dans ce tableau de l’arbre solitaire, par exemple, j’ai modifié la forme du feuillage et du fond parce que je voulais obtenir un certain résultat que je n’obtenais pas d’après ce que j’avais observé.

Jean-Jacques Et les matières, elles viennent naturellement dessus ?

Alain Les matières sont des superpositions, on peut travailler avec des matériaux qui sont complètement différents. Ici il y a trois matériaux : un empâtement avec du sable, il y a un travail en épaisseur avec la peinture, et des copeaux. J'appelle ça de la peinture étirée. Cela peut être un paysage classique mais c’est fait d’une façon qui n’a rien à voir avec la peinture classique.
Voilà, ici (dans le salon où nous nous trouvons) je suis entouré de mes amis.

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Alain nous présente, comme il le ferait de personnes devant nous, des tableaux d’amis peintres qui accompagnent quelques-unes de ses œuvres.
Nous passons ensuite dans le jardin, un lieu sur lequel veille tout particulièrement Bernadette, son épouse. Espace de silence en pleine ville, où l’on entend seulement le bruit des mouvements des oiseaux et leurs chants. L'atelier occupe l’emplacement d’une ancienne chapelle après un aménagement conçu par Alain et son épouse.
Nous entrons dans l’atelier. Alain a préparé pour nous la présentation de nombreuses œuvres, qu’il a organisée dans un ordre chronologique en apportant des précisions sur l’époque et le contexte de leur production. Au fil de cette présentation, il évoque des souvenirs de rencontres, d’influences, et donne des précisions sur certains aspects techniques de son travail :
Le noir
Dans mon travail il n’y a jamais de noir. Je me suis toujours interdit le noir. Déjà les Impressionnistes le faisaient. Dans les ombres ils travaillaient avec des bleus, des violets. Ma palette s’étend du blanc au violet. Le violet, je l’utilise pour remplacer le noir, et même je ne l’utilise jamais totalement pur, j’y mets toujours un peu de blanc. Ensuite mes couleurs je vais les rompre. Autrefois je ne le faisais pratiquement pas, maintenant je le fais beaucoup plus. Au lieu de les foncer avec du noir, je les mélange avec leur complémentaire. Par exemple dans ce tableau c’est presque un gris, mais en fait il y a du jaune, ici il y a violet, jaune, blanc, ce n’est pas blanc et noir. On voit que ce n’est pas un gris neutre. C’est très important dans mon travail de ne pas utiliser le noir.

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Les copeaux
Je travaille avec des copeaux de peinture. Ce sont des copeaux que je me fabrique. Ce peut être des copeaux qui m’ont déjà servi pour des tableaux, je les récupère. Au lieu de peindre avec les pinceaux, je peins avec les doigts en assemblant avec la peinture fraîche, la colle, etc. Quand c’est un format plutôt petit, ça va, mais quelquefois je suis amené à les fabriquer spécialement parce que je ne vais pas avoir toutes les couleurs dont j’ai besoin pour ma nouvelle toile. Mais le fait de réutiliser les copeaux des toiles, ça crée une unité dans ma peinture.
Essais pour se libérer de la figuration
À un moment donné, je me cherchais, j’étais parti d’un paysage mais j’avais fait une maquette qu’ensuite j’ai découpée et j’avais mis une bande à l’endroit, une bande à l’envers. Je voulais voir jusqu’où je pouvais aller pour me libérer un peu de la figuration. Finalement je ne m’en suis jamais libéré. Mais j’avais fait ce travail sur quelques toiles.
Travailler en plusieurs épaisseurs
Au cours d’une nouvelle période, j’ai eu l’idée de travailler avec plusieurs épaisseurs. J'avais fait une exposition à Montpellier avec cette technique. Le personnage devient le contour du tableau. Ce genre de travail pouvait être très complexe et je l’effectuais à la scie sauteuse, sans les outils d’aujourd’hui !
Passer à d’autres modes de travail

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Ce tableau, le Jardin, est important parce que je quittais mon modèle de prédilection pour aborder d’autres thèmes. Là j’ai commencé à travailler en apportant des copeaux, du papier froissé, des empâtements. Ou bien des empâtements sont faits avant, c’est-à-dire que je structure mon tableau avec mes empâtements et je peins une couche de blanc par-dessus, et ensuite je mets mes couleurs. Ou bien je travaille mon tableau sur un support plus grand comme s’il était terminé. C'est la première étape.
Deuxième étape : marouflage. Je prends un format plus petit et je le pose – alors là il faut faire assez vite, il y a un temps de séchage de la colle – et ensuite je travaille avec les doigts pour obtenir des effets de relief et ensuite je repeins par-dessus. Donc pour un mètre je vais travailler presque deux mètres. Pourquoi l’effet de relief ? Parce qu’à un moment donné je voulais multiplier ma palette colorée par l’effet de l’ombre portée. L’ombre portée crée une couleur ou même parfois plusieurs couleurs supplémentaires et peut même changer en fonction de la lumière qui est accrochée ou de celui qui regarde. Ce tableau appartenait à une série que j’avais appelée “Temporalis”.

Jean-Jacques Tu fais beaucoup de recherches, en permanence. En t’écoutant, je me demandais s’il y avait un lien entre ces différents aspects. Est-ce que ta principale recherche ne serait pas sur la lumière ? Quand tu dis « je refuse le noir », « je travaille les ombres », le noir, les ombres, ce sont des pièges à lumière, c’est pour révéler la lumière que tu les travailles. Est-ce que je me trompe ?

Alain Oui, c’est la lumière, et comme la lumière donne les couleurs, c’est comme un éternel recommencement …

Jean-Jacques … je le relie avec tout ce que tu nous as dit, sur les amis, l’amour …la lumière c’est aussi le symbole de la vie.

Alain La lumière rend visible le monde. Elle n’est belle que si elle est incarnée.
Après mon premier cancer, je suis revenu progressivement à mon travail . Ma vie a retrouvé son intensité lumineuse .

Jean-Jacques Alors tu te bats en permanence pour rechercher la lumière, même dans le travail sur les épaisseurs …

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Alain … Là, le « combat » est plus pragmatique, par le biais de l’éclairage sur l’épaisseur je vais rajouter des tons supplémentaires . Parce que l’ombre portée sur un bleu par exemple modifie mon bleu, et je multiplie ainsi les tons. Mais j’en conviens, la recherche de la lumière est de plus en plus présente dans mon travail, elle m’aide à dépasser la dimension de la seule représentation .

Jean-Jacques Tu évoques le désir de te libérer de la figuration. Est-ce que tu pensais pouvoir atteindre la lumière en te libérant des représentations ? Et travailler uniquement la couleur avec les formes sans qu’il y ait un sujet ?

Alain Oui, mais cette démarche ne me correspondait pas. Je partais effectivement de l’image, j’appelais ça la déconstruction de l’image. Pour la déconstruire, j’avais ma maquette, comme je l’ai dit, que je découpais en bandes verticales ou horizontales, une bande à l’endroit, une bande à l’envers, etc. Après, je composais mon tableau jusqu’à une certaine hauteur, je faisais ça de manière horizontale sur la partie basse, c’est mieux que sur la partie haute parce que la composition est beaucoup plus aérée. Donc l’image s’estompait, surtout qu’à l’époque je travaillais avec des aplats et ça créait un rythme. En plus des lignes verticales et horizontales, dans ma façon de peindre, la couleur n’étant plus totalement un aplat, il y avait des lignes qui partaient dans tous les sens, suivant le paysage ou ce que j’avais exprimé.

Jean-Jacques Je me dis que ça, cette recherche de la lumière, c’est tout de même un combat. Tu nous as montré tes dernières peintures. J’y trouve une approche de la lumière beaucoup plus sereine. J’ai l’impression, en voyant tes dernières toiles, que c’est l’aboutissement de tout ce travail que tu as entrepris.

Alain Je prends cela comme un compliment et je suis très touché de ta réflexion surtout venant d’un pair que j’apprécie. Oui, je suis mieux, parce que je suis un peu débarrassé de mes problèmes de santé même si j’en garde des séquelles.

Jean-Jacques C’est pour ça que je fais le parallèle entre ton combat pour la lumière et ton combat pour la vie.

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Tu nous as dit « j’aime être entouré des tableaux de mes amis », parce que cela t’aide, parce que tu sais qu’autour de toi, il y a aussi des personnes qui sont passées par les mêmes problématiques que toi au plan de la couleur, de la lumière, des expressions.

Alain Oui, et quand j’ai accepté le poste de président, je ne voulais pas y aller seul, j’avais besoin de sentir autour de moi une équipe, ce qui est le cas. Je ne peux pas vivre sans fédérer. Quand j’ai fait ces toiles – c’est un secret, j’espère que c’est toujours un secret …

Jean-Jacques … je n’ai rien dit !...

Alain …ces toiles où j’ai représenté les amis, j’ai pensé « mes amis sont là, je vais entrer dans leur travail ». Donc j’ai fait du Dorne, du Vercellotti, du Camalot, etc., c’était un moyen pour moi, non pas de m’approprier leur travail, mais pour m’entourer en quelque sorte.

Jean-Jacques Dans ces dernières toiles, il y a une lumière particulière qui montre que tu as fait le tour de tes expériences.

Alain Pour moi, c’est encore une étape, parce que je n’aime pas refaire ce que j’ai fait, mais chaque étape m’apporte quelque chose. Je ne parle pas d’évolution, je ne renie pas mes premières recherches. Si elles n’avaient pas été faites, je n’en serais pas là aujourd’hui, en toute humilité j’essaie d’avancer. Peut-être je vais essayer de monter encore plus loin dans la lumière, mais j’aurai toujours besoin des autres. Dans l’expérience de la présidence et de l’organisation d’un Salon, j’ai apprécié mes collègues, j’ai vu chacun travailler et j’ai pris beaucoup de plaisir d’être avec eux.

Jean-Jacques Dans certains paysages, j’ai trouvé une forme de sérénité, de légèreté. Ce pourrait être des paysages anodins …

Alain …oui mais ils ne sont pas anodins, ces paysages …

Jean-Jacques …oui ! à cause de quoi ?...

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Alain …à cause de la lumière, parce qu’effectivement il y a la lumière qui nous permet de voir ces magnifiques paysages et il y a la lumière que l’on voit, celle qui permet l’ouverture aux autres, celle qui donne de la sérénité et puis il y a l’émotion , cette « dimension d’âme » comme par exemple au moment où je me suis retrouvé à Abel Tasman, dans ce parc national de Nouvelle-Zélande, avec une de mes filles, son mari et mon épouse. Ais-je réussi à le communiquer, à le faire partager ?

Jean-Jacques Tout cela on le ressent à travers ta peinture. On sent que le paysage n’est pas le plus important mais ce qui s’est passé autour et ce que tu as vécu.

Alain Je te remercie. Mais en même temps, la peinture, une fois qu’elle est « terminée », une fois qu’elle est accrochée, elle appartient au public, elle est à la personne qui va l’observer. J’essaye en toute humilité d’y mettre tous les ingrédients pour qu’elle ait la « force » de se défendre et qu’elle donne envie d’être regardée, c’est-à-dire, d’être gardée dans les mémoires.

Jean-Jacques C’est intéressant que tu dises que la peinture puisse se défendre. On entre encore dans le combat. Même libérée, ta peinture va encore devoir se battre. Chez toi le combat est permanent. C’est pour ça que tu ne fais jamais la même chose, que tu n’as pas besoin de te retourner sur l’arrière, tu es toujours dans le combat à venir.

Alain Ce qui est important aussi pour moi, c’est que j’ai appris à faire les choses plus vite, parce qu’à un moment donné, je me demandais combien de temps il me restait à vivre.

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Quand je m’en suis sorti, comme on ne sait pas ce qui va arriver, on a envie de faire beaucoup de choses. J’ai des choses à dire, il faut que je les dise. Je suis peintre, je veux les peindre. Et c’a influencé aussi ma façon de peindre. À l’époque où je travaillais l’aplat, j’avais une technique qui demandait plus de temps, et comme je travaillais avec des valeurs assez proches, il y avait beaucoup de recherches à faire avant. Quand j’en suis sorti, miraculé, j’ai pensé que je ne devais plus me contenter pas de faire des aplats, que j’avais d’autres choses à montrer, comme me l’avait dit Marie Banégas. Je me suis dit « je repars à zéro en quelque sorte, je ne vais pas me gêner ». J’ai commencé à travailler plus en matière, à coller des copeaux, à chercher, chercher, chercher …

Jean-Jacques Tu te libérais de la technique. Tu allais sur d’autres recherches.

Alain Oui, c’est très important de ne pas être prisonnier de sa technique.

Jean-Jacques Une fois que tu maîtrises la technique, tu ne te projettes plus dans la recherche. Il faut tout de même un certain courage pour affronter des choses nouvelles.

Alain Oui, par exemple, il y a un tableau qui représente un paysage avec de l’eau, la brume. Il fallait que je rende un certain effet. Il y avait une sorte de pin que je voulais montrer un peu plus au loin. Je me suis dit « est-ce que je vais encore mettre des copeaux ? » Puis je mets des clous dans ma palette et je commence à travailler. Et en fait, mon pin, la texture du pin, c’est la masse des clous. Et cela a fonctionné. Ça aurait pu ne pas marcher, mais on apprend de ses erreurs. Il m’arrive de repeindre sur une autre toile qui ne me plaît plus. Parce que j’ai « mûri », enfin, façon de parler, parce que ça ne me convenait plus, j’avais envie de montrer autre chose. Je suis très dur avec moi …

</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

Les toiles que je n’aime plus je les ai reprises. Pour le moment, j’ai tout mis « au niveau » ! Mais il m’est arrivé pour une expo de reprendre une toile. Elle ne me plaît plus et j’y retravaille. Ou quelquefois ça peut être un point de départ pour autre chose. Parce que ce n’est pas facile de partir sur la toile blanche. Mais j’ai appris à l’accepter parce que, de par mon activité professionnelle qui me prenait beaucoup de temps, je ne pouvais pas peindre ou je ne peignais pas régulièrement. Ça m’est arrivé plusieurs fois d’arrêter deux ou trois mois, donc il fallait repartir sur autre chose. Mais même si c’est dur, j’aime ça. Pendant les périodes où je ne peux pas peindre, je suis comme un gamin en attente de quelque chose. J’en rêve, je m’endors avec des projets. J’ai passé pas mal de mois à l’hôpital, quand je repartais, j’avais plein d’idées en tête. Quitte à faire le tri … Je ne regrette pas mes problèmes de santé. C’est paradoxal mais je pense que ça m’a changé, en bien. C’est comme pendant le confinement, ça a laissé un vide, c’est dur, de ne pas voir les amis, mes enfants, mes petits-enfants, mon dernier petit-fils qui est né pendant le confinement. Il a fallu que j’attende un mois et un jour pour le voir, mais par contre j’ai peint, peut-être un peu plus. Ce vide, je l’ai comblé en lançant l’idée de cette opération caritative avec la Société des Artistes Méridionaux.

Jean-Jacques Pendant le confinement tu arrivais à peindre ?

Alain Oui, en plus j’avais l’objectif de mon exposition prévue en décembre. Il y aura une centaine de toiles et aussi des pastels. Je montre de temps en temps des pastels, pas systématiquement. C’est une façon de travailler plus vite, j’en ai fait chez Simone Boudet, je n’en ai pratiquement plus fait pendant ma période Art Sud, depuis 2000 jusqu’à ces temps-ci. Je me suis mis à en refaire parce que j’ai fait beaucoup de portraits, peints ou au pastel. Pour moi peinture et pastel c’est complémentaire. Le pastel, c’est un travail très précis. Quand je fais un portrait, j’essaie de le faire très ressemblant.

Entretien réalisé le 29/01/2020 à Toulouse


</p><p><b><em>Alain</em></b> Casado

ARBRES DE PATIENCE

          Arbre solitaire
sur la rive du lac Wanaka,
saisi d'un regard
en graphes d'éclairs éteints
- danse de son immobilité -
arbre flamboyant de prières,
nu,
en lutte contre une puissance invisible,
arbre de douleur
livré à la crue et au froid.
Désolé mais soudain renaissant
il est deux fois vivant,
à lui-même sa propre image
au miroir des eaux tièdes,
Narcisse impassible
simplement offert
à la douceur qui vient.

          Arbres en procession
accompagnant de leurs flammes sombres
le chemin jusqu'à la fin.

          Arbres en assemblée de ballerines
dans une clairière initiatique
peut-être inquiétante
à force de lumière blanche.

          Arbres offrant à des ciels de mosaïques
leur chevelure en flocons d'astres.

          Arbres oubliés
dans la poussière d'or
d'une vieille fin d'après-midi.

          Arbre en chapeau pointu
intrépide sous l'orage
vertical.

          Arbres doucement posés
sur la terre,
sans veines ni racines,
aspirant à l'air, à la clarté,
à la lumière et au vent,
contrepoints discrets
à l'exubérance des soleils et des fleurs,
la bienveillance des jardins,
la confiance rieuse des rencontres.
          Arbres gardiens de l'espace tout autour,
chargés des présences incessantes de l'amour
et de la tendre patience.

Marc Nayfeld

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