Photo de Toulouse

Goerlinger

Roseline GOERLINGER

C'est une navigation qui nous emmène cet après-midi chez Roseline Gœrlinger. Les premiers miles se déroulent dans l’expansible banlieue toulousaine, en bifurcations énigmatiques et ronds-points obsessifs. Il y a ensuite un fleuve et une rivière à passer. Puis c’est une route élancée, avec de loin en loin des escales dans des villages étonnamment silencieux. La route fend la houle des collines du Lauragais et au sommet d’une vague c’est la vue soudaine sur les Pyrénées blanchies d’écume.
Grâce au sextant GPS, le littoral est en vue. Mais l’arrivée au port s’avère plus délicate qu’on ne l’espérait. Il y a encore quelques récifs. Nous demandons notre chemin. Après de balbutiants tours et détours nous voici enfin à quai, prêts à rencontrer Roseline, la navigatrice qui emporte sa boîte d’aquarelle et ses feutres sur son bateau.


Goerlinger

Jean-Jacques: Comment en es-tu venue à t’exprimer par la peinture ?

Roseline: Déjà j’ai choisi ça comme travail. J'ai fait un professorat de dessin d’art. À l’époque ça s’appelait comme ça. Au départ, quand j’ai eu le bac, j’étais au lycée de Sèvres, j’avais des parents qui étaient enseignants Freinet et qui souhaitaient que je bénéficie des méthodes actives. Donc j’ai eu une éducation assez libre au lycée de Sèvres de la 6ème à la terminale avec plusieurs heures de dessin par semaine. Le lycée avait une prépa pour passer le concours de l’ENS de Cachan en Arts appliqués. Je n’ai pas assez travaillé pour être reçue. Mais en même temps j’ai passé des certificats de Claude-Bernard, lycée parisien où se préparait le Capes de Dessin d’Art, devenu en 1971 le capes d’Arts Plastiques. J’ai regretté mon échec à Cachan car j’aurais bénéficié d’un présalaire. J’ai continué mes études en auditeur libre, inscrite aux Beaux-Arts de Paris pour avoir un statut étudiant car Claude-Bernard avait fermé en 1968. J’ai terminé mon professorat en faisant des remplacements d’institutrice liée à la ville de Paris. Il existait un statut particulier d’instituteurs qui faisaient une demi-heure de dessin, musique ou gym dans les écoles primaires et jusqu’en classe de troisième dans les CEG, devenus les collèges actuels. C’est ainsi que j’ai pu financer mes études. J’ai été également modèle dans des ateliers. A l’automne 1969, Bernard mon mari, et moi-même, sommes partis en Guadeloupe pour deux années scolaires. Bernard a pu enseigner comme « volontaire à l’aide technique », au lieu d’effectuer un service militaire classique. A la rentrée 1971, nous sommes devenus toulousains, Bernard nommé à l’IUT génie mécanique et moi au collège de Lalande. Quand on est revenus, on a eu un poste double.

Jean-Jacques: Et toi, en Guadeloupe, tu faisais quoi ?

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Roseline: J’ai enseigné les travaux manuels en collège avant d’avoir réellement un poste de dessin au lycée technique où j’ai été inspectée par le vice-recteur de Guadeloupe afin de valider mon Capes pratique. J’ai fait peu de dessin. Nous en avons profité pour découvrir les îles, l’altiplano en Amérique latine. Nous avons fait de la voile. A défaut de dessiner, je cousais beaucoup, crochetais des vêtements.

Jean-Jacques: À cette époque, est-ce que déjà tu peignais ?

Roseline: Ma formation avait été très classique. J'ai fait énormément de dessin d’observation. À l’époque il fallait faire beaucoup d’anatomie, de perspective, de dessin industriel. On faisait peu de travaux personnels. Je faisais beaucoup de sport, avec Bernard on était très sportifs. En 1973 nous avons acheté un voilier de 8 mètres avec un couple d’amis. Quand on est arrivés à Toulouse, on a fait de la montagne, du kayak. J'ai toute une série de carnets de voyages que je faisais en bateau, je faisais des aquarelles sur le voilier. Les carnets de voyage en ce moment c’est un genre, c’est très à la mode, il y a des Salons. J'en ai toujours fait pour moi. Ce ne sont pas des choses à éditer. Pendant mes études, dès les années de prépa, je pratiquais la peinture sur soie, cravates, foulards, corsages. J’ai appris à coudre avec ma grand-mère, giletière chez un tailleur. Je crochetais des pulls que je vendais à d'autres étudiants.

Jean-Jacques: Tu as beaucoup voyagé !

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Roseline: Quand on s’est connus avec Bernard, aux Glénans, c’était une école de voile, la première qui a commencé à former des moniteurs. Pour se payer des stages, on était moniteurs de voile là-bas. On est partis jusqu’en Irlande, jusque vers les côtes portugaises, plus tard on en a racheté un plus grand, une dizaine de mètres, et on est allés vers la Sicile. On a surtout voyagé en Bretagne, l’Atlantique est très vivant, il y a des marées … Mes parents m’y emmenaient quand j’étais petite. La mer a toujours eu une importance particulière pour moi. En dehors des carnets de voyage, je travaillais des laines, des broderies, ouvrages faciles à transporter.
En 1973, à la suite d’un accident de ski, je suis restée immobilisée huit mois. J’ai crocheté un dessus de lit, des rideaux. J’ai tricoté des jacquards. Bernard m’avait fabriqué un métier à tisser. Heureusement sans pédales ! J’ai tissé de l’ameublement, mais aussi des vêtements sans chercher à les vendre.
En 1978, à Montgiscard, j’ai intégré l’atelier de poterie où je suis toujours. J’étais plus proche de « l’artisanat d’art » que de l’art tout court !

Jean-Jacques: C’est de l’aquarelle, ça.

Roseline: Oui mais ce n’est pas mon medium préféré. J’emporte une petite boîte d’aquarelle avec des feutres. Maintenant il existe des pinceaux dans lesquels on peut mettre de l’eau, des pinceaux-réservoirs, c’est très pratique. Autrement, je travaille avec des marqueurs, j’en ai des jaunes, des marron, des bleus, des roses et des violets, de toutes les couleurs et de toutes les grosseurs. J’aime les outils graphiques. C'est avec ça, en ce moment, que j’ai travaillé à ce genre de choses : j’ai fait des poissons, et ça c’est un sachet de thé. À la disparition de ma mère, je me suis retrouvée avec trois cents cartes postales (elle les collectionnait), elle ne prenait pas de photos, elle achetait des cartes postales, il y en avait plein sur la mer. J’ai mis dans un cahier bleu (beau temps) une carte postale, un poisson qui est fait sur une dosette de café, et puis j’ai fait des textes. Pendant le confinement, j’ai fait des poissons avec des textes, c’est mon livre de la mer.

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Jean-Jacques: L’idée des dosettes, c’est venue comment ?

Roseline: J’achète parfois des mots croisés, des jeux, et dans ces jeux il y avait un jour un article sur une Américaine qui peint sur des dosettes. J'ai trouvé que c’était intéressant et j’ai pris l’idée. Pour les modèles des poissons, j’ai un dictionnaire des années trente dans lequel il y a des planches comme celles-ci, et je travaille d’après ces planches. C'est le Larousse en six volumes de 1936. Pour mes parents qui étaient enseignants, le livre c’était important. L'Imprimerie de France passait dans les écoles. Mon père achetait à tempérament, et je me suis retrouvée avec une bibliothèque très importante. La bibliothèque était quelque chose d’essentiel. Mais tous ces livres, aujourd’hui, aucune médiathèque n’en veut. On avait au professorat une épreuve qui s’appelait “leçon de choses”. Il fallait faire au crayon une planche de leçon de choses. Le jour du professorat, on a eu à faire une planche sur une moule ! Il fallait que ce soit comme les planches qu’on affichait dans les classes, ou en anatomie les planches qu’on voit chez les acupuncteurs. Pour ma part, ce sont toujours les planches botaniques que j’apprécie le plus.

Jean-Jacques: Quand tu avais exposé en 2018 à la galerie Palladion, c’était des fleurs, ça m’avait fait penser à des planches botaniques.

Roseline: J’ai hésité. Un jour, je me suis dit “est-ce que je m’oriente vers le dessin chirurgical scientifique ou vers la botanique ?” Mais maintenant, avec l’ordinateur, ce ne sont plus des métiers. Je me souviens d’avoir vu en Angleterre une exposition d’aquarelles anglaises du XVIIIème. Et les planches de Redouté, on connaît ses roses, mais il a fait des liliacées et des cactus, c’est à se mettre à genoux ! L’histoire du dessin naturaliste est quelque chose qui m’a toujours passionnée. J'aime le beau dessin d’observation. Au cours de cette exposition au Palladion, j’avais fait un exposé sur le dessin naturaliste.

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Je me suis remise vraiment à travailler après un très grave accident de voiture en 1987. Notre vie a beaucoup changé à ce moment-là. À l’époque, le seul moyen de survivre pour moi ç’a été l’overdose d’activités. J'ai passé une maîtrise d’histoire de l’art, une maîtrise d’archéologie, une agrégation d’arts plastiques. J'ai fait une fuite dans les études, le sport, j’ai animé un atelier de poterie (que j’anime toujours d’ailleurs) et je me suis remise à faire du dessin pour l’agreg.
Il était devenu compliqué de faire autant de sport. En 81, j’avais été mutée au lycée technique Vincent-Auriol de Revel dans un baccalauréat avec une option « ébénisterie d’art ». J’y enseignais la perspective, le dessin d’observation et l’histoire du mobilier. J’ai d’ailleurs fait à ce moment-là une maîtrise d’archéologie sur : « la menuiserie en Gaule romaine aux premiers siècles de notre ère ». Dès 83, j’allais à la fac du Mirail suivre des cours d’histoire de l’art. J’ai passé les examens. Avant la maitrise d’archéologie, j’en ai fait une en histoire de l’art sur les serres.
J’avais du plaisir à écrire, à manipuler les mots pour décrire des œuvres. Depuis petite, j’avais toujours des facilités et du goût pour écrire des histoires. Ce qui m’a bien servi par la suite. La section du lycée est devenue « bois et matériaux composites » et mes disciplines disparaissant, j’ai décidé de passer l’agreg d’Arts Plastiques pour rester en lycée.

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Je suis retournée en collège, 3 ans à mi-temps. J’ai été détachée dans les musées comme conférencière pour les scolaires et les profs. Option fermée en 95. Je suis retournée à Revel, collège et option lycée jusqu’en 2005 année de ma retraite.
Ensuite, en 2000 avec les Méridionaux que j’avais intégrée comme sociétaire un peu avant, j’ai participé à des expositions collectives au Palladion. J'y suis arrivée l’année où il y avait une expo avec un concours de nouvelles sur Emmanuel(le) Coquecigrue. Cette année-là j’ai fait une nouvelle et j’ai travaillé sur le thème de l’inachevé. Je venais de lire du Perec, j’aime beaucoup les Oulipiens, je venais de finir La Vie mode d’emploi et j’avais imaginé que le serviteur de Bartlebooth, celui qui faisait des marines, qui préparait son voyage, récoltait et collectionnait des tas de choses, ne pouvait jamais finir parce que son patron arrivait. Donc il avait une valise, mais en réalité elle avait des roulettes et dedans il cachait tout ce qu’il ramassait sur la plage. Un copain m’avait fait une mallette à roulettes et dedans j’avais mis des coquillages, des dessins. Et j’avais fait son carnet de voyage. Les carnets de voyage se sont bien vendus parce que c’était des objets sur papier qui étaient beaucoup moins chers que des tableaux. C'est à cette époque que j’ai commencé à exposer à la galerie Palladion. J'exposais aussi un petit peu à Revel.
En 5ème, les élèves ont au programme les grandes religions, les monothéismes. Je me suis demandé comment expliquer tout ça, je suis passée par l’écriture. J'ai fait venir quelqu’un du Scriptorium. J'ai demandé aux élèves s’ils connaissaient des gens de leur famille qui avaient des porte-plume, qui avaient travaillé au porte-plume. Un élève m’a apporté un cahier de sa tante – il m’a dit “elle est vieille, elle a 36 ans”. Après j’ai fait venir une Chinoise qui donnait des cours de calligraphie à Bonnefoy, avec qui j’ai beaucoup travaillé, et une calligraphe arabe. La calligraphie, la graphie et les mots me fascinent.

Jean-Jacques: C’était après ton voyage en Chine ?

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Roseline: Non, le voyage en Chine c’est autre chose et c’est tout à fait par hasard. Une personne qui était bilingue, qui avait fait de la terre dans la région de Shanghai, qui s’était acheté une ferme tout au fond de la vallée du Salat, pour payer sa ferme et vivre six mois tranquille, cette personne organisait des voyages pour des potiers dans un village où on fait des petites théières marron en grès. Ce sont des maîtres du thé qui font ça. Et puis il y a une ville qui est l’équivalent de Limoges, en allant vers le Sichuan, une ville affreuse où ne vient aucun touriste, une ville qui ne vit que de poterie. Quand on dit qu’une ville chinoise ne vit que d’une chose, c’est vrai. Tout le monde vit de poterie. C'est très divisé. Quand je fais un bol, je tourne le bol, je fais les finitions et je le peins. Je l’émaille et je le cuis. Là-bas, il y en a un qui tourne, un qui tournasse, celui qui s’occupe du décor va faire juste les filets, un autre dessine juste le décor entre les filets, un autre peint dans le décor, un autre émaille, etc., et tout ça dans des endroits différents.
Je suis partie deux fois trois semaines/un mois là-bas. C'était pour apprendre à faire ces théières et aussi pour apprendre les décors sur porcelaine. Je ne pouvais pas le faire ici parce que la porcelaine de là-bas se travaille plus facilement que celle d’ici. C'est là-bas que j’ai appris à graver. J’ai rapporté des outils que j’utilise pour graver les os de seiches : poissons, bateaux, sirènes.

Jean-Jacques: C’était quand, ce séjour en Chine ?

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Roseline: En 2008 et 2010. J'y suis retournée en 2012 avec un groupe de tai chi. Mais ce n’est pas un pays où j’irais vivre. On était dans une ville pas touristique. Quand la Chine s’est ouverte, des Chinois sont allés aux États-Unis puis sont revenus en Chine et par exemple il y avait une Chinoise qui avait ouvert un centre très moderne pour accueillir des designers et des potiers du monde entier avec tous les moyens qu’il fallait pour faire du traditionnel.

Jean-Jacques: Donc toi, qu’est-ce que tu as appris là-bas ?

Roseline: C’était plutôt une expérience humaine et sociologique. C'était la découverte d’un pays avant l’époque touristique. Ils ne parlaient pas anglais, nous on ne parlait pas chinois, on n’a eu que des échanges de techniques et de tours de main, ç’a été humainement très intéressant. Sinon, la vie dans les villes, c’est affreux, il n’y a aucune empathie, il n’y a pas d’humanité, sauf dans les campagnes.

Marc: Ce tableau-là (on y voit un arbre, un espace blanc, des signes) il a quelque chose de la Chine, ou c’est d’une autre époque ?

Roseline: C’est un peu avant, parce que je m’étais intéressée à la calligraphie et puis, au moment de partir, j’ai accentué mes exercices calligraphiques. J’avais fait une expo au Palladion, je ne sais plus quelle année en 2015, où je m’étais fortement inspirée des paysages chinois mais en les occidentalisant à mon idée, en mettant des matières et en travaillant souvent sur des œuvres déjà faites. Je n’ai jamais pensé à archiver, quand un tableau ne me plaît pas, je retravaille dessus. Il y en a qui ont parfois des couches de plusieurs années. Y compris des tableaux de mes parents, qui en faisaient pendant leur retraite et qu’ils avaient mis de côté parce qu’ils ne leur plaisaient pas. J'ai retravaillé dessus en collant d’abord des papiers comme du papier de soie parce que c’est translucide et il ressort beaucoup de choses qui font qu’après je démarre sur quelque chose qui existe déjà. Ce sont ces hasards qui ressortent qui m’intéressent.

Jean-Jacques: Les autres tableaux de cet ensemble, cette technique, sont représentatifs de la façon dont tu as commencé ?

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Roseline: Oui. Je ne savais pas quoi faire pour l’agrégation parce qu’elle venait d’être créée. On avait compris qu’il ne fallait pas faire de l’ordinaire, qu’il ne fallait pas faire du classique. On avait surtout compris ce qu’il ne fallait pas faire. Donc j’ai cherché tout ce que je pouvais faire sur papier, j’ai huilé des papiers, j’ai travaillé avec n’importe quoi, je me suis fait un crochet dans un manche à balai et j’ai crocheté de la ficelle pour faire des napperons gigantesques que j’ai tendus sur des châssis comme les Indiens qui tendaient des peaux pour les faire sécher. Parce que le sujet qui était proposé c’était “À vos marques”. J'avais plusieurs napperons, comme ce que j’avais fait pour “L’effet de serre”, c’était des araignées démentes qui ne savaient plus faire leur toile. C'était le même principe. Et là il fallait circuler entre les feuilles, il fallait faire un discours. Mon discours, c’était d’abord que c’était très féminin parce que pour les napperons on part du centre. C'était un geste millénaire de femme qui partait de l’utérus. Ç’a très bien marché, je n’ai jamais été aussi brillante de ma vie. Les premiers sujets que j’ai eus, je ne les ai pas compris. J'enseignais depuis vingt ans, je ne comprenais pas les sujets … La première chose qu’on a faite, avec plusieurs étudiants collègues, ç’a été de chercher des glossaires pour comprendre ce qu’on nous demandait. Il n’était pas question qu’on dise qu’on travaillait sur un support, on travaillait sur un subjectile. Au bout d’un an j’avais acquis tout le vocabulaire qu’il fallait. Une fois que j’aie eu compris le jeu, je suis rentrée complètement dedans. Il fallait jouer, écouter, savoir quel mot il fallait faire passer. Cette année-là, il fallait obligatoirement mettre une “problématique”, celle de l’élève et la tienne. J’avais évidemment mes références parce qu’on me les demandait. C'était Marinette Cueco et Pierrette Bloch. Pierrette Bloch travaillait avec du crin de cheval, elle tendait une grande ligne et dessus elle nouait des crins, ça faisait des lignes d’écriture. J'aimais beaucoup son travail. Ça m’a remise un peu à flot aussi, parce qu’en collège je ne m’occupais pas d’art contemporain. Quand j’ai demandé à me rapprocher de chez moi, j’ai été nommée au lycée de Revel dans un bac qui est devenu un bac F1. Je me suis retrouvée à devoir enseigner le dessin d’ameublement et l’histoire du mobilier. Les premières années, j’ai bossé comme une tarée pour arriver à maîtriser le cours. Heureusement on avait fait de la perspective pour être prof.

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J'ai fait aussi des ateliers de nus tout le temps, de modèles vivants. Comme j’en faisais beaucoup, j'en ai des quantités astronomiques, à une époque j’en faisais 6 heures par semaine. Si vous en voulez, j’en ai plein, vous pouvez en emporter. Comme je travaille aussi sur des supports déjà écrits, j’ai fait des dessins sur de vieilles partitions. Mes parents avaient acheté une ferme qui correspondait aux communs d’une maison bourgeoise et dans le grenier il y avait, quand ils l’ont vendue, plein de partitions que j’ai récupérées. Même quand je fais des choses très abstraites, j’ai toujours continué à faire du nu. L'observation pour moi c’est une base. J'étais dans un groupe qui s’appelait l’APAT, association des peintres amateurs toulousains, c’était une très vieille association, j’y suis arrivée par une amie, il y avait beaucoup de profs des Arènes. On avait beaucoup de modèles qui étaient des gens de l’Ecole de cirque du Lido, des mecs qui avaient des corps sculpturaux, avec des muscles profonds que j’avais complètement oubliés. Mais il y a beaucoup moins d’hommes qui posent que de femmes. Quand ce sont des comédiens, ce sont des gens qui connaissent leur corps et qui savent poser.
Ma première exposition personnelle en 1995, je l’ai faite dans une galerie rue des Polinaires, une galerie associative. J'ai fait tout encadrer et en fait j’ai perdu de l’argent. La même année j’ai exposé des petits formats à Altigone à Saint Orens, j’ai pas mal vendu parce que c’était une MJC, j’ai pu récupérer ce que je n’avais pas gagné à l’autre. Après j’ai pu exposer à Revel et Sorèze parce que j’ai sympathisé avec des parents qui dessinaient.

Jean-Jacques: La période de collages de papier …

Roseline: … ç’a duré longtemps …

Jean-Jacques: … et tu es passée aux fleurs ?

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Roseline: Ça fait deux ou trois ans que je reviens à la figuration. Parce que je ne voyais pas tellement ce que je pouvais faire de plus et donc, tous ces tableaux que j’avais, j’ai retravaillé dessus. Enfant, j’ai des herbiers avec ma mère. J’ai toujours aimé la nature. Depuis plus de 20 ans, je suis des cours d’ikebana mais mon approche des plantes est plus artistique que scientifique ou « jardinière ».

Jean-Jacques: Qu’est-ce qui te pousse à faire des fleurs ? Tu as dit “j’aimerais faire des dessins très fins, comme on en voit sur des planches de botanique” ...

Roseline: J’aimerais mais je n’ai pas la patience… mais je ne suis pas très soigneuse en fait. Je travaille souvent avec des pastels à l’huile très gras. C'est un vrai plaisir parce qu’on écrase. Mais je peux travailler avec des choses très fines.

Jean-Jacques: Mais là, par exemple, tes fleurs ne sont pas travaillées aussi finement que sur une planche botanique. Qu'est-ce que tu cherches à montrer ?

Roseline: Qu’on reconnaisse quand même la plante, et ensuite c’est le plaisir de la matière. J'ai eu envie de revenir au figuratif, ça m’a toujours plu.

Jean-Jacques: Tu ne fais pas de peinture à l’huile ?

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Roseline: Non. D'abord je suis gênée par l’odeur de l’huile, et puis quand j’étais étudiante je n’avais pas assez d’argent pour m’en acheter. Je ne pouvais pas non plus installer un atelier chez mes parents. Et quand on voyageait, qu’on faisait du sport, je me déplaçais avec mes feutres ou des choses faciles à emporter. Et l’acrylique est quand même beaucoup plus facile, ça sèche plus vite. Mais le pastel à l’huile, ça revient à peu près à la même chose, sauf que c’est comme un crayon, donc c’est plus pour dessiner. En fait c’est comme de la peinture, mais avec de gros crayons.

Jean-Jacques: Et quand est-ce que tu travailles ?

Roseline: Je travaille presque tous les jours, et comme on fait beaucoup de vélo avec Bernard, et que le vélo est conditionné par la météo et par le vent, je travaille dans mes moments libres. Il me faut la clarté du jour, j’ai besoin de la lumière du jour et du soleil, je ne supporte pas la lumière artificielle. En ce moment, ce qui m’a donné une idée, c’est que la dernière fois que j’ai vu Jean-Henri Escoulan avec Alain Casado, je lui ai demandé de me réserver une expo 2022 pour l’automne prochain et il a été d’accord. Alors j’ai un an devant moi, donc j’ai décidé de faire un travail sur la mer. J'ai commencé des choses et j’ai fait des stages de peinture chinoise à deux pinceaux. C'est très traditionnel. On a deux pinceaux, un pinceau d’eau et un pinceau de couleur. Quand tu as du thé, de l’encre, de l’aquarelle, de l’eau, le tout c’est de tremper le pinceau dans le bon récipient. C'est difficile. Et puis les Chinois les utilisent comme des baguettes. On met un peu de couleur et hop ! on travaille avec l’eau. On change de couleur et on travaille avec l’eau. Ça c’est une pivoine chinoise, c’est très traditionnel. Et le papier, c’est du papier à calligraphie, du papier de soie, un peu poreux. J'en ai acheté en Chine, mais on en trouve en France aussi.

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Ça c’est le seul livre érotique que j’ai fait, avec des fleurs de camélia, “Camélia mon amour”. Support qui a déjà vécu, fleurs séchées, et un peu d’écriture : c’est ce que j’aime faire maintenant.
C’est une amie qui m’a mise en relation avec une éditrice toulousaine « Az’art atelier editions ». mes livres-objets sont trop compliqués à éditer. Elle n’a gardé que les textes. J’ai donc eu deux livres édités simultanément à l’automne 2018 : Des nouvelles de Rose et Sirènes et autres alarmes. La troisième parution est plus atypique et très personnelle.
Ça c’est le deuxième livre que j’ai édité, sur le thème des sirènes. Au départ je faisais des écrits pour moi, ça fait longtemps que je suis dans des groupes d’écriture. Je m’étais fait un livre sur les sirènes. On s’auto-anime dans le village et la personne qui animait ce jour-là avait tiré des phrases de Desnos, par exemple “une fourmi de dix-huit mètres ça n’existe pas “, il fallait inventer d’autres phrases et en les tirant je suis tombée sur “une sirène vieille, borgne et qui sent la morue ça n’existe pas”. Il fallait faire une nouvelle à partir de ça. Je suis partie dans un délire total et après j’ai fait un livre avec mes sirènes. Une maison d’édition toulousaine m’a éditée avec les textes seuls, sans les dessins. Je me suis rendue compte après qu’il y a beaucoup de choses intimes dans ce livre. Je ne l’ai pas réalisé sur le coup.
En 2012, pendant un an, j’ai dessiné des fleurs quand elles fanent, en écrivant des textes. J'avais utilisé un support qui existait déjà, qui datait des années cinquante. Toute l’année, j’ai fait germer une patate douce. C’était des dessins d’après nature, sur des feuilles séparées. Quand l’éditrice a vu ça, un ensemble manuscrit fait à la main, ça l’a beaucoup intéressée. Un ami encadreur à Revel a repris les dessins qui faisaient une série. C'est fait avec du crayon de couleur et du feutre.

Jean-Jacques: Là on est proche du botaniste.

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Roseline: Oui! Il y a des textes que j’ai pris dans des dictionnaires, il y a des citations, et il y a aussi des textes de moi.
Je fais aussi des cartes brodées avec essentiellement des thèmes floraux. Je vais aller au Salon du livre de Corronsac le 6 novembre. Je présente des livres et aussi des cartes, des marque-page. Je fais partie d’un groupe qui pratique l’écriture et chaque année en janvier on fait un Salon du livre qui s’appelle Le Livre d’Hiver. On a eu l’an dernier Francis Hallé, un botaniste, c’est lui qui a écrit Le radeau des cimes. Dominique Baudis était venu aussi une année en tant qu’historien. C'est un des rares élus qui, quand il venait dans une librairie pendant une campagne électorale, parlait de livres et pas de lui.
J’ai commencé des paysages de mer. Pour l’instant c’est de la peinture mais je vais rajouter du pastel dessus. C’est pour l’expo de 2022 à Palladion.

Jean-Jacques: L’inspiration te vient comment pour ces paysages ?

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Roseline: Ce sont des dessins que j’ai repris. Pour le Palladion, je vais faire des grands collages sur le thème de la mer ou des abysses. Mais pour le moment j’ai plutôt envie de faire des petites choses.
Voilà un livre-objet. Dans le genre kitch on ne fait pas mieux. Mon père faisait de la reliure. Les livres qu’il a faits, c’est parfois des textes inintéressants au possible. Donc j’en ai transformé beaucoup en boîtes.
J'ai aussi une série de planches de nature. Je voulais les exposer en même temps que je présenterais les livres. Il y a toujours ce besoin de m’approprier des matériaux existants.
Depuis des années j’écris beaucoup mais je publie peu.
Et j’ai écrit deux romans policiers très courts, absolument immondes. J'ai eu un plaisir à écrire ces horreurs ! Il y a deux ans, dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace, il y avait un fait divers. À Offenbourg, une femme a tenté de tuer son mari avec une perceuse électrique sans fil, un foret de 10, c’est-à-dire 1 cm. C'est le bruit de la perceuse qui a réveillé le bonhomme. Quand tu lis ça, tu te dis que ce n’est pas vrai. Si, elle est en tôle, c’est vrai. Je suis partie sur les machines-outils allemandes. Les belles perceuses allemandes, c’est extraordinaire ! Donc déjà le choix de la perceuse pour tuer son mec, le choix du foret, il y a des choses intéressantes.Comment elle en est arrivée là …

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En tôle elle trouve quelqu’un de meilleur qu’elle, qui a utilisé l’empoisonnement avec des produits Bayer, une personne plus discrète. Le premier roman, je l’avais fait à Revel. C'était un gars qui retrouvait un corps dans une roselière, mais quand on fait le tour de Revel, on fait trois départements. Il a emporté le corps à l’hôpital de Revel, mais en fait il l’avait retrouvé à moitié sur le Tarn et sur l’Aude. Ça pose problème. Est-ce qu’il faut le couper pour l’envoyer dans les divers commissariats ? Ce polar a été présenté à Montgiscard pour le Salon du Livre d’Hiver dont je suis membre et où je me suis invitée. C’est la troupe « Je de scène » de Saint-Félix-Lauragais qui l’a adapté au théatre. Voilà, je crois que je vous ai tout montré ….

Marc: Ce tableau, Tatie Kitch, que tu avais exposé aux Méridionaux pour La vie en rose, il paraît assez singulier par comparaison avec tout ce que tu nous as montré.

Roseline: Je me suis dit que, sur le rose, tout ce qu’on pouvait faire c’était un peu bêta. Et donc je suis partie sur un thème que je faisais avec les enfants pour les amener à faire de l’abstrait, les Carrés Magiques de Klee, en partant de carrés qui s’agrandissent et qui vont du clair au foncé. C'est une règle de jeu, c’est tout. Avec des matières bling bling comme les magasins Tati.

Jean-Jacques: Ça m’avait fait penser à des maisons.

Roseline: Oui, et ça aurait pu aller avec le thème de cette année, le Mur.

Entretien réalisé le 7/10/2021 à Montgiscard

Travail réalisé sur des textes existants, définition et mise en œuvre d’une règle de jeu (une parmi bien d’autres en usage à l’OuLiPo) avec acceptation large mais invisible du clinamen.
Textes de départ : treize lignes extraites du livre de Roseline Gœrlinger intitulé Sirènes et autres alarmes (az’art atelier éditions, 2018) et un vers de Robert Desnos extrait du poème intitulé Ma sirène, tiré du recueil Destinée arbitraire.

Goerlinger

Les fleurs ont sombré.
Les strigiles s’émancipent
dans la brûlerie fraîche de ventôse.
Là-bas le camaïeu congénital des montures
hachure le bleuissement du canope.
La seule onction probable est celle des olifants.
Désormais la mer envenime tout.
On entend au loin le babil naïf d’une dinanderie provinciale.
La cocaïne, le tussah, le cyanure de l’éteignoir poignardent la rivière.
Après la gravure vient l’indissolubilité des larmes.
Mon sisymbre est bluffé comme le velours où il naît.
Par-dessus le voilier, perdure tout un monisme inexploré.
Et le bleu, le bleu vide, comme mon amour vide.



Clinamen :
Georges Perec définit ainsi le clinamen : « Nous avons un mot pour la liberté, qui s'appelle le clinamen, qui est la variation que l'on fait subir à une contrainte... [Par exemple], dans l'un des chapitres de La vie mode d'emploi, il fallait qu'il soit question de linoleum, il fallait que sur le sol il y ait du linoleum, et ça m'embêtait qu'il y ait du linoleum. Alors j'ai appelé un personnage Lino – comme Lino Ventura. Je lui ai donné comme prénom Lino et ça a rempli pour moi la case Linoleum. Le fait de tricher par rapport à une règle ? Là, je vais être tout à fait prétentieux : il y a une phrase de Paul Klee que j'aime énormément et qui est : « Le génie, c'est l'erreur dans le système ».

Conférence prononcée à l'université de Copenhague le 29 octobre 1981, in Entretiens et conférences vol. II, Editions Joseph K., p. 316

Le néanmoins auteur (mais existe-t-il ?) : Marc Nayfeld
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