En choisissant ce thème, nous étions loin de penser que nous
finirions confinés entre quatre murs quelques mois plus tard.
Toujours à la recherche de sujets très larges permettant aux artistes
de réaliser une œuvre unique pour notre Salon annuel, le mur nous
laissait miroiter des expressions aussi nombreuses que variées.
Je soulignerais l’énumération : Mur de Berlin (avec le trentième anniversaire de sa chute récemment commémoré), Mur des Lamentations, Grande Muraille de Chine, et tous les murs qui peuplent notre
histoire… l’imagination fertile des artistes vous en propose de multiples déclinaisons et interprétations, incluant des questions comme :
Qu’y a-t-il à-côté ou sur l’autre face du mur ?
Ce 91ème Salon des Artistes Méridionaux est le reflet de tendances artistiques de notre région. Il montre qu’en matière de
création plastique,Toulouse et le grand Sud-Ouest sont riches
d’artistes talentueux. Ici sont représentés des artistes non sociétaires ainsi que des sociétaires, la jeune génération aussi bien
que des artistes confirmés, selon la tradition de notre Société.
Nous vous invitons à venir nombreux constater par vous-même
cette richesse et diversité .
Alain Casado
Président de la Société de Artistes Méridionaux
On choisit un thème, et voilà qu’une crise sanitaire de première grandeur s’invite dans le Salon : car c’est justement « entre quatre murs »
que le nouveau virus nous a confinés.
Cette vision courante d’un mur rébarbatif se trouve ici bien entendu exploitée, creusée, élargie ; mais en art, tout est possible : elle
est aussi transposée, détournée, contredite. Le
plus grand défi aux représentations familières
est peut-être celui du peintre illusionniste qui
enchevêtre à plaisir le plan vertical du mur et
la profondeur du paysage, créant un espace
impossible : gymnastique mentale assurée
pour le spectateur !
Le mur comme corps matériel et solide
offre beaucoup de possibilités aux artistes :
tous ont trouvé dans sa surface une mine inépuisable de création plastique : assemblages,
reliefs, fissures, teintes grises ou fuligineuses
ou, aussi bien, franches et claires (dont le jaune
du petit pan de mur proustien), taches, texture
du matériau. Preuve est faite par exemple que
la brique rouge bien toulousaine peut se traiter
avec une forme de pointillisme issue de... l‘art
aborigène. Riche matière picturale aussi que
les tags et graffitis du street art, les affiches.
Solidité inébranlable des murs ?… Pas
pour certains artistes. De vieux murs érodés,
délabrés, témoignent du temps qui fuit. Des
silhouettes humaines diaphanes peuvent se
fondre dans ces murs, partageant leur fragilité. Le temps n’est pas le seul agresseur : voici des murs brûlés, des murs démolis, les tours
jumelles de New York, les immeubles éventrés
d’Alep. Là-dessus se greffent des images de
dégradation écologique : allons-nous laisser à
nos descendants, en guise de monuments à admirer, des murs de déchets ? Et si personne ne
veut réparer le mur mitoyen vermoulu, le bien
indivis, c’est-à-dire la planète dévastée, qu’attendre sinon des cataclysmes…
Mais le rôle majeur du mur, dans ce Salon, est de faire obstacle. Même mince comme
une ligne de barbelés, même liquide comme la
vague qui monte, beaucoup le voient infranchissable. La pierre résistante ne cède que sous les
coups de burin. Passer le mur du son c’est créer
une onde de choc dont la violence déchiquette
l’acier. En version collage, toute une géométrie d’angles aigus traduit le double bang qui
permet aux supersoniques de s’élancer vers les
étoiles. L’écho est une explosion similaire, qui
torture et pulvérise le mur percuté par le son.
Dans la perspective du confinement,
mais aussi de toutes les répressions, le mur empêche de sortir. C’est le cas des murs de labyrinthe où trop de fils paralysent au lieu de guider. Le mur emprisonne, il sépare. Les mains du
jeune soldat de 1918 et de sa veuve voudraient
se toucher, mais le mur de la mort, invisible
mais bien présent, s’interpose. Le mur tient à
distance l’autre, cet objet de peur : tel le gigantesque mur de D. Trump, tel le Mur de Berlin
dont les graffitis soulignent la dramatique durée
en mentionnant les dates 1961-1989. Certains
espèrent que ces murs qui divisent tomberont
un jour...
Plus anodin, mais omniprésent : l’interdit du Défense d’afficher. Il figure, assorti de
la date réelle ou fantaisiste de l’arrêté, sur les
murs les plus innocents, pour limiter notre liberté. Ce fameux panneau peut devenir le sujet
même du tableau, serré de près par des lambeaux d’affiches !
Des suspicions pèsent volontiers sur le
mur. Son épaisseur ténébreuse est susceptible
de renfermer des êtres fantastiques, une vie
mystérieuse. Lui-même devient une présence
inquiétante, porteuse de secrets. Il espionne,
car il recèle un œil qui épie, et, bien sûr, des
oreilles, une infinité d’oreilles qui écoutent !
Au pied du mur censé l’abriter, l’exclu
gît prostré. Mais, invisible pour les passants,
incorporé au mur par osmose, le malheureux
est littéralement emmuré. A un autre sansabri le mur présente ironiquement des images
de splendeurs inaccessibles : Las Vegas, la
chance, l’argent. Dans cette scène un miroir
nous oblige à jouer un rôle...
D’autres artistes pensent à des murs
abstraits, qui emprisonnent ou séparent aussi
sûrement que les murs matériels. Ainsi le mur
de la surdité avec, comme palliatif du silence,
le langage des signes ; le mur du refus qu’on
oppose aux migrants, au cri silencieux de leurs
bouches ouvertes, à leurs gesticulations de
noyés. Ajoutons le mur de l’argent, qui mène
le monde et tous ses continents (Harpagon l’incarne, les doigts crispés sur sa cassette) ; celui
de l’amour renié, de l’indifférence : un journal
et un regard de côté, tout est dit. L’homme est
aussi capable de s’enfermer en lui-même, dans
un tête-à-tête oppressant avec sa Chimère.
Dans les liens sociaux, le confinement (ou peut être notre condition même), assigne aux murs
un double rôle : nous nous côtoyons, seuls et
ensemble, proches et séparés par les murs
transparents de nos habitations.
Mêlées à toutes ces images plutôt
sombres du mur, des visions plus aimables figurent dans ce Salon.
Bien entendu, les murs ne sont pas toujours étanches. Ils comportent des vides, des
portes qui peuvent s’ouvrir. Derrière le mur un
quidam, ou un chat (un chat très officieux),
peuvent se faufiler. Par-dessous le mur on se
donne un point de vue inédit sur la rue. On peut
converser entre deux murs, se glisser, même
masquée, entre deux rangées d’immeubles, et
les passe-murailles se jouent des séparations.
Enfin, il est mille moyens d’échapper à la claustration. Celle-ci prend sa valise pour passer
froidement de l’’intra-muros à l’extra-muros.
Roméo bondissant retrouve sa Juliette, malgré
le mur et le masque, car après le confinement
vient le déconfinement. Les nouveaux Adam
et Eve franchissent de leurs mains symétriques
la distance qui sépare les êtres, et préludent
à la fusion érotique. La grande aventure est
de faire le mur : sauter par-dessus comme des
bambins flottant en apesanteur, ou l’escalader
à deux, en s’aidant fraternellement. Ici le titre,
là le geste et le regard du grimpeur, invitent le
spectateur à entrer dans l’œuvre et partager ce
plaisir.
Au fil des œuvres, on voit le mur remplir des fonctions multiples, et contribuer à la
vie. Office peu noble mais important, si l’on
en croit sa forte récurrence : la surface du mur
permet aux chiens – et aux hommes – de se
soulager. Ne sont épargnés ni le mur de cimetière hérissé de croix, ni le Mur des Lamentations : le cocasse s’y teinte de dérision envers
le religieux. Une performance, bâche peinte où
seules des vibrations sonores ont déterminé le
trajet de couleurs liquides, évoque les murs de
son, manifestations d’une certaine vie festive
underground. Le mur de livres forme, éduque,
enrichit. Les tags fixent la trace des existences,
et la graffeuse munie de ses aérosols fait du
mur un mémorial. Porteurs de messages plus ou
moins subversifs, les murs militent, et se réclament de Bansky. Le mur a aussi toutes qualités
pour se faire protection, habitat pour des êtres
vivants : des plantes s’y accrochent, passent
par-dessus, prospèrent au pied ; des animaux
familiers en font leur territoire. Rien n’empêche
un mur de se parer de motifs fleuris accordés
à des passantes souriantes. Même le mur de
rocher, avec ses douces ondulations neigeuses,
appelle la vie. Le mur de laine richement coloré, envers exact du mur gris et hostile, est une
version chaleureuse du mur, comme la colonne
murale diaprée, presque textile.
Pour certains le charme du mur réside
dans ses jeux avec la lumière. C’est un volume
qui projette une ombre, or cette ombre même
fait naître tout autour un espace lumineux
sans limites. La clôture végétale, mur agreste
à claire-voie, filtre subtilement le jour. Tout un
paysage s’esquisse en reflets délicats suggérant les vitres d’ une façade de verre. Le mur
peut aussi s’illuminer, la nuit, de mille feux. En
mosaïque de pâte de verre, il pare les fruits et
les fleurs d’éclats de lumière réfractée. Dans le
mur-vitrail translucide, la lumière devient le matériau même du mur.