Photo de Toulouse

Charles GIULIOLI

Charles GIULIOLI

De quels hasards parlons-nous ?
De la rencontre de deux séries causales indépendantes ? Des nombreuses petites causes produisant un grand effet ? De la problématique des structures dissipatives, de la dialectique de la régularité et de l’aléatoire ?... Peut-être « tout simplement » – si l’on ose dire pareille chose – du hasard au sens commun, commun comme aurait pu dire Jean Dubuffet lorsqu’il parle de
L’homme du commun à l’ouvrage.
Car le peintre que nous rencontrons en ce jour « a fait du hasard la matière même de son travail ». Et l’ordinateur est devenu son atelier. Un ordinateur auquel il laisse une large liberté sous contraintes pour créer autre chose que du Giulioli, qui est pourtant, en quelque façon, encore tout de même du Giulioli.
Des œuvres que l’on suit du regard et qui « nous font ressentir au plus profond le rythme du temps qui s’écoule ».




Charles GIULIOLI

Jean-Jacques Comment es-tu arrivé à la peinture ?

Charles Je n’ai pas peint quand j’étais enfant, par contre j’ai des souvenirs précis de peinture quand j’étais à l’école. Ça me plaisait beaucoup d’étendre la peinture sur le papier, les couleurs aussi me plaisaient beaucoup. Et j’ai le souvenir d’avoir vu des gens peindre. Ensuite, nettement plus tard, j’étais étudiant quand j’ai commencé à dessiner pour moi. Après mes études d’ingénieur, spécialisé en physique, j’ai travaillé dans un labo de biophysique parce que je m’intéressais à la vie, je voulais comprendre le mécanisme de la vie. C’est là que j’ai commencé à peindre, le week-end. Mais sans jamais penser en faire une activité. Je n’avais pas de modèle. Je m’aperçois que souvent les gens qui sont peintres ont un modèle soit dans leur famille soit quelqu’un qu’ils connaissent, et dans l’entourage de mes parents il n’y avait pas de peintre. C’est quand j’étais étudiant que j’ai rencontré quelques peintres. Notamment quand j’ai commencé à travailler, j’ai rencontré un groupe de peintres et de sculpteurs à Aix-en-Provence, et là j’ai eu la révélation … j’avais déjà commencé à dessiner par ailleurs, mais quand j’ai rencontré ces artistes je me suis rendu compte qu’ils parlaient de sujets qui m’intéressaient, que ce qu’ils faisaient m’intéressait, ça me semblait extraordinaire. Je ne pensais pas qu’on pouvait vivre comme ça. Il y avait des professionnels et de bons amateurs.

Jean-Jacques Quand tu dis « j’ai eu la révélation quand je les ai rencontrés », c’est parce que tu as discuté avec eux, tu as vu leur travail dans leur atelier ?

Charles GIULIOLI

Charles C’est plutôt la discussion. On avait les mêmes préoccupations, les mêmes centres d’intérêt. Des questions philosophiques, sur la vie, pas des questions de peinture d’ailleurs. Mais ce qu’ils faisaient me plaisait et je voyais le rapport entre leurs questions philosophiques et ce qu’ils fabriquaient de leurs mains et leur style de vie. Parce que je viens d’un milieu très conventionnel, pas du tout artistique. Quand j’ai découvert que c’était possible de vivre comme ça, et surtout que des adultes vivaient comme ça, j’ai trouvé ça fabuleux. C’était des gens plus âgés que moi, des gens qui auraient pu être mes parents, qui avaient vécu mai 68 et compagnie.

Jean-Jacques Tu faisais donc des études de physique ?

Charles J’avais fini mes études, je travaillais en recherche à Montpellier. À un moment je n’ai plus été satisfait de ce que je faisais dans mon travail de recherche, qui ne correspondait pas à ce que j’espérais. J’ai donné ma démission et le lendemain je me suis demandé ce que j’allais faire ensuite. Je n’étais pas du tout inquiet, j’avais un diplôme qui me permettait de trouver du travail. Et je me suis dit – je peignais déjà un petit peu – pourquoi ne pas essayer de peindre pendant un moment et voir si ça peut marcher ? Ç’a été le début, ça n’a pas été un saut dans le vide, je me suis dit : je vais prendre trois mois et je vais bien voir si ça me plaît, si je vais réussir à gagner ma vie comme ça. Ce que je peignais à l’époque, avant de décider de le faire à plein temps, c’était des paysages, en aquarelle, et surtout au crayon, et au crayon gras, au conté. J’avais beaucoup de plaisir à le faire. Et quand j’ai décidé d’essayer de peindre, j’étais fasciné par le trompe-l’œil. Qu’est-ce qui fait qu’on peut tromper le regard ? J’ai fait beaucoup de perspectives, pas vraiment de trompe-l’œil, des perspectives assez compliquées, ça me passionnait d’un point de vue technique, je trouvais ça magique de voir le résultat.

Jean-Jacques Ça fait le lien aussi avec tes études de physique, parce que le trompe-l’œil c’est tromper sur les dimensions, sur l’espace.

Charles GIULIOLI

Charles Oui, ça a un côté très technique, il y a des règles qu’il faut comprendre, qu’il faut appliquer. Ça m’a intéressé longtemps.

Jean-Jacques Tu as fait des recherches sur la perspective ?

Charles Beaucoup plus tard. Quand j’ai animé un séminaire à SUPAERO – donc trente ans plus tard ! – j’ai regardé de près l’histoire de la perspective. Non, sur le moment, je n’avais aucune idée et cela ne m’intéressait pas d’ailleurs, c’était le résultat qui m’intéressait. Ce côté fascinant de faire une image qui soit comme la réalité, ou mieux même que la réalité. Ensuite j’ai fait beaucoup de perspectives mais un peu dans l’idée de décor. Je n’ai pas fait de décors de théâtre, j’aurais pu en faire, mais j’imaginais plutôt des décors pour la vie ordinaire. J’ai fait beaucoup de murs peints, des murs entiers dans lesquels je faisais des percées avec des couloirs, des choses qui se succédaient … Ce qui me fascinait, c’était des architectures imaginaires qui étaient extrêmement rigoureuses. Il n’y avait pas trace de vie humaine, tout était lisse, impeccable, très ordonné. C’était un monde dans lequel je ne suis plus du tout, je déteste ça maintenant, mais dans lequel j’étais bien, je trouvais ça rassurant. Ça me faisait rêver d’un monde parfait, un monde qui obéirait à des règles simples.

Jean-Jacques Finalement tu étais dans une recherche de perfection quand tu t’intéressais à la perspective. Tu créais un monde selon ton imagination, mais qui pouvait coller à une réalité.

Charles Ce que j’avais étudié, ça ne restait que des objets extérieurs, tandis que quand je créais ces univers j’étais dedans. C’est quelque chose que je n’ai pas poursuivi mais qu’il serait intéressant de faire, faire sentir les lois de la physique – quelques artistes le font – de façon palpable.

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Jean-Jacques Tu peignais avec quoi ?

Charles Avec la peinture acrylique. Ça a l’avantage de sécher vite, on peut revenir dessus facilement. Beaucoup plus tard j’ai fait des essais à la peinture à l’huile, mais ça ne me convenait pas parce que même au début je corrigeais énormément.

Jean-Jacques Tu faisais un dessin avant, ou pas ?

Charles Oui, je dessinais et c’est intéressant parce que tout ce que je fais maintenant c’est l’inverse de ce que je faisais à cette époque-là. Par exemple, je faisais mes dessins au crayon, j’écrivais les couleurs à mettre aux différents endroits et ensuite quand je passais en grand format il n’y avait plus de création, j’appliquais la maquette.

Jean-Jacques Tu as gardé certains de ces croquis ?

Charles GIULIOLI

Charles J’en ai retrouvé il n’y a pas longtemps en rangeant l’atelier.

Jean-Jacques Donc ça c’est une étape. Tu en vivais, de ce travail ?

Charles Oui, les circonstances ont été très favorables parce que j’avais un copain qui était ingénieur dans le cinéma et avec qui on avait déjà discuté. Lui, ça le tentait aussi de dessiner et de faire de la peinture. Mes projets l’ont beaucoup intéressé, il m’a proposé de prendre un atelier ensemble, ce qu’on a fait. Ça aide énormément d’être à deux quand on démarre une activité, on se soutient le moral, on rit … On était à Paris et on avait trouvé une boutique aux Puces, à Clignancourt, pour laquelle on avait eu des conditions vraiment extraordinaires. On y allait chaque week-end vendre notre production. On en a vécu tout de suite. C’était la mode de ce qu’on a appelé ensuite des trompe-l'œil, nous on disait panoramique à l’époque. On exposait nos tableaux et on faisait souvent des commandes. Les expositions se faisaient à l’extérieur. C’était un porche, il y a avait deux boutiques de chaque côté et au premier étage, avec des poubelles au fond. Le propriétaire nous avait dit « si vous voulez, vous me cachez ce truc-là, et vous venez chaque week-end, je ne vous fais rien payer ». Donc on « habillait » cet endroit. Au bout de quelques mois il nous a fait payer quand même, et on a continué pendant deux ans. Au début on y allait tous les deux, après on avait chacun notre week-end. Ça nous a permis de démarrer. On a vendu tout de suite, et on a rencontré des gens, des galeries. Moi je faisais mes perspectives, mes palais et lui faisait plutôt des jungles façon Douanier Rousseau, en très grand. On vendait rarement ce qu’on amenait, c’était plutôt des commandes. De très grands formats, de la taille des murs. On a fait ça deux ans, c’était dur quand même.

Jean-Jacques Et sur toile aussi ?

Charles GIULIOLI

Charles Sur toile et sur store en bois tissé. On avait trouvé ça, ensuite ça s’est beaucoup fait, on était un peu des précurseurs. Ce sont des lattes qui sont tenues avec des ficelles et c’est plan. L’avantage c’est que ça nous permettait de les rouler et de les présenter facilement. Souvent, chez les gens, on faisait des peintures murales. On a fait ça pendant un temps, et moi par ailleurs je n’avais pas décidé de devenir peintre. Dans mon esprit, je faisais ça un moment et puis on verrait bien.

Jean-Jacques C’était une période de transition pour toi.

Charles Voilà. Je ne savais pas ce que je ferais mais je ne m’inquiétais pas trop. Au bout d’un moment, j’ai vu que ça me plaisait, j’avais envie de faire des choses un peu plus approfondies que mes perspectives en grand format. J’ai commencé à faire des tableaux, toujours avec des perspectives, plus petits et plus travaillés. Et puis je me suis dit que j’allais en faire mon activité. À ce moment-là, j’ai décidé de partir aux États-Unis par esprit de sérieux, c’est-à-dire pas du tout par goût. Parce qu’à cette époque-là – c’était dans les années 1975/80 – il n’y avait pas d’artiste qui était respecté s’il n’avait pas été aux États-Unis. C’est drôle comme les choses ont changé depuis. C’était universel. D’ailleurs je me souviens, dans les interviewes, on ne demandait pas aux artistes s’ils avaient été aux États-Unis, on disait « vous avez été là-bas ». On parlait de « là-bas ». Alors je me suis dit : j’y vais, je vais faire une expo, ça me fera une carte de visite. En fait, ça ne s’est pas passé comme ça parce que je suis allé à New York et j’ai adoré cette ville. J’ai exposé, mais surtout j’y ai passé deux ans. Je peignais toujours mes perspectives. Ensuite j’ai rencontré des gens qui ouvraient une galerie en Californie et qui m’ont fait des propositions que je ne pouvais pas refuser. Ils me proposaient un lieu où peindre, ils s’occupaient de la commercialisation de mes œuvres. Donc j’ai quitté New York, j’y serais bien resté un peu.

Charles GIULIOLI

Jean-Jacques À New York, tu avais un atelier ?

Charles Oui, très bien placé, c’était un coup de bol. Quand on va à New York on a beaucoup de coups de bol. L’atelier où je devais rester deux ou trois mois, j’y ai passé deux ans.

Jean-Jacques Après tu pars en Californie.

Charles Oui, au nord de San Francisco, à Santa-Rosa, dont on a parlé récemment à cause des incendies. J’ai passé cinq ans, deux ans à Santa-Rosa, à la campagne, et après à San Francisco. Ç’a été une période agréable, moins intense que New York pour la vie artistique.

Jean-Jacques Tu as dû nouer des relations avec d’autres artistes, d’autres peintres ?

Charles À New York beaucoup. Mais je ne me suis pas fait d’amis.

Charles GIULIOLI

Jean-Jacques Je pense à des échanges qu’on peut avoir avec d’autres.

Charles Là j’ai été extrêmement déçu, ç’a été une des raisons de mon retour en France. Il y a eu peu de discussions entre artistes. J’ai essayé souvent, mais sans succès. Curieusement, les artistes américains que j'ai rencontrés ne souhaitaient pas parler de peinture! Parler de galeries, de relations, de ventes, alors là, oui! Mais parler vraiment de peinture, ça a été très rare.

Jean-Jacques C’est presqu’en autodidacte que tu as abordé la peinture, donc tu pouvais avoir besoin d’échanger au moins pour vérifier si ce que tu faisais tenait la route.

Charles Oui, c’est quelque chose qui m’a manqué. J’aurais aimé avoir un maître, quelqu’un qui me critique à long terme, qui voit mon évolution sur les années. L’occasion ne s’est pas présentée. Ce n’est pas pour la technique parce qu’on a la chance de vivre à une époque où toutes les techniques sont accessibles. C’est pour la critique et pour ce qu’il y a derrière la peinture, la façon de vivre, la philosophie de vie.

Jean-Jacques Tu sais les questions que tu te poses, mais celui qui regarde la peinture va peut-être s’en poser d’autres.

Charles Oui, ça fait avancer. Par exemple, il y a quelque chose d’ahurissant : pendant plus de dix ans, je n’ai jamais mis un personnage dans ma peinture et je ne m’en étais pas aperçu. C’est incroyable.

Charles GIULIOLI

Jean-Jacques Ça veut dire peut-être que tes questions n’étaient pas d’un ordre qui touche à l’individu, mais elles devaient être des questions d’ordre peut-être physique ou autre. Parce que quand tu peins, tu peins par rapport à des questions que tu te poses. Quels types de questions tu te posais ? Qu’est-ce qui te poussait à peindre ?

Charles C’était que cet univers parfait, dont je parlais tout à l’heure, que je décrivais, je m’y sentais bien. J’étais bien dedans.

Jean-Jacques Est-ce que tu introduisais déjà des formes géométriques ?

Charles Dans la perspective ce n’était que des formes géométriques. Des escaliers, des marches, des bassins, des colonnes …

Jean-Jacques C’était proche de la décoration, alors ?

Charles GIULIOLI

Charles Oui, ça a un côté décoratif. Le but de la décoration, c’est bien de créer un univers dans lequel on se sente bien. Mais je ne saurais pas dire pourquoi j’étais bien dans ce monde que j’inventais.

Jean-Jacques Quelles étaient les couleurs que tu utilisais ?

Charles Il y avait beaucoup de bleu, des ciels bleus. J’aimais aussi avoir un contraste entre un premier plan très ordonné, très construit - avec des fenêtres et à travers les fenêtres on voyait un paysage - et dehors quelque chose d’un peu mystérieux. Au début c’était calme plat et plus ça avançait, plus dehors il y avait une sorte de végétation exubérante, avec l’idée – c’est l’idée de l’architecture – de se créer un univers protégé, alors qu’à l’extérieur il y a le vaste monde qui bouge et qu’on ne contrôle pas.

Jean-Jacques Les gens qui t’ont repéré à New York, qui t’ont invité à aller en Californie, ils ont peut-être été sensibles à tes couleurs ou au monde que tu créais, qui leur était plutôt proche … New York je le verrais un peu sombre et San Francisco je verrais plutôt des couleurs très claires, la lumière …

Charles Oui, ça pouvait avoir un côté californien.

Jean-Jacques Ça me fait penser à David Hockney. Ton passage de New York à San Francisco, ça rappelle ses paysages dans lesquels on se sent très bien.

Charles Mais lui s’attache à la façon dont il traite les sujets. Moi à l’époque je n’y pensais pas. Je faisais des images en quelque sorte.

Jean-Jacques Tu travaillais essentiellement avec des aplats ?

Charles GIULIOLI

Charles Non, il y avait beaucoup de dégradés mais on ne voyait pas les coups de pinceau. Et puis c’est venu un peu par hasard. Un tableau où j’avais laissé des coups de pinceau, je me suis dit : c’est pas mal, ça. Ce qui me plaît par exemple dans David Hockney ou dans Nicolas de Staël, c’est quand à la fois ça représente quelque chose, il y a une image, et en même temps il y a de la peinture. L’œil va de l’une à l’autre, on voit le paysage, mais de temps en temps on ne regarde plus le paysage, on ne regarde plus que la peinture. Je trouve ça fascinant, cet aller et retour qu’on fait entre les deux. Mais je n’étais pas là-dedans à l’époque !
Donc j’ai passé cinq ans en Californie, où je vivais de ma peinture, à travers la galerie qui m’avait fait venir. Et puis ma vie a changé, parce que j’ai rencontré mon épouse, qu’on a eu une fille. D’un seul coup, j’ai éprouvé un désintérêt total pour mes perspectives calmes – sans faire alors un lien avec mon changement de vie, c’est maintenant que je le fais – j’en ai eu assez de ces paysages, de ces symétries, je voulais un monde différent. En même temps la galerie avec laquelle je travaillais ne voulait pas entendre parler d’essayer des choses, parce que ce que je faisais avant leur plaisait. Moi j’avais de plus en plus de mal à le faire. Donc on est rentré à Toulouse.

Jean-Jacques Finalement ta femme a été l’élément perturbateur …

Charles … l’élément déclencheur ! …

Charles GIULIOLI

Jean-Jacques Ça t’a obligé à te remettre en question. Et sur quel objet ? On peut se remettre en question sur son mode de vie, et aussi sur sa peinture même.

Charles C’était les deux. Je n’en avais pas conscience. Je ne me disais pas : j’ai changé de vie, ma peinture ne correspond pas à la vie que j’ai maintenant. Ça s’est fait naturellement.
En France on a passé un an dans une maison de campagne, près de Montauban, et ç’a été une année difficile pour moi parce que je savais que je ne voulais plus faire de perspectives, mais je ne savais pas ce que je voulais faire d’autre. Je n’avais plus aucun contact avec des galeries à Paris. J’ai réussi à faire une ou deux expos de toiles que j’avais ramenées de Californie, des perspectives, et je faisais des essais. J’ai peint à l’huile, ce que je n’avais jamais fait, je me suis intéressé à la matière de la peinture, j’ai fabriqué ma peinture avec des pigments, l’huile, les médiums. J’ai fait un peu toutes les peintures que j’avais un jour rêvé de faire. J’ai fait des paysages, j’ai fait des choses abstraites …

Jean-Jacques Tu n’as pas introduit de personnages ?

Charles GIULIOLI

Charles Au bout d’un moment, si. J’avais commencé par introduire des personnages, mais j’étais dans une démarche où tout devait être parfait. J’avais suivi des séances de croquis de nu depuis très longtemps et j’ai essayé de prendre des dessins que j’avais faits et de les recopier dans mes tableaux. Mais ces personnages étaient fixes, rigides, sans vie, et désespéré je pensais arrêter, faire autre chose. J’ai commencé à dessiner des personnages vite faits, des esquisses. J’ai trouvé que ces personnages avaient de la vie, et c’est là que j’ai découvert cette interaction entre le coup de pinceau et ce que ça représente. J’ai fait beaucoup de petits tableaux avec des personnages comme je fais maintenant. Moins on les dessine, plus ils sont intéressants, vivants, ils éveillent l’imagination.
Au début j’ai fait des petits tableaux avec des personnages uniquement et un fond barbouillé. Une des difficultés ç’a été de lâcher la perspective, parce qu’au début j’essayais de les mettre dans la perspective. La perspective, je savais très bien la faire et c’est difficile de lâcher quelque chose que tu sais faire. Et à un moment, j’ai lâché. J’ai fait des arbres, traités un peu de la même façon. J’ai commencé à exposer ces petits tableaux. La révélation, ç’a été la lecture de Jean Dubuffet, « L’homme du commun à l’ouvrage ». C’est un livre indispensable, même pour des gens qui ne sont pas artistes. C’est grâce à cette lecture que je me suis libéré, je me suis autorisé à faire des choses vite faites, pas finies, avec cette idée que c’est le mouvement et le flux de la vie qui comptent et pas les choses arrêtées et enfermées dans des boîtes de conserve. J’ai exposé ces petits tableaux les uns à côté des autres, et en les regardant j’ai pensé que ça faisait un tout, une histoire. D’où l’étape suivante, faire des grands tableaux avec des cases, beaucoup de choses se passant dans les cases. L’avantage d’un grand tableau, c’est que les cases pouvaient communiquer les unes avec les autres. Je suis parti là-dessus. Ça fait quinze ans que je fais ça, avec une évolution. Au début, il y avait eu cette idée d’histoire, mais peu à peu j’ai pensé que ça représentait ce qui se passait dans ma tête. C’est-à-dire qu’on a différentes idées, des sensations, des souvenirs, des projets, qui sont dans des registres très différents, sans rapport les uns avec les autres, mais on a tout ça en permanence dans l’esprit. Avec ces cases, ça permet de placer tout ça et les choses ne sont pas enfermées dans des cases, parce qu’elles communiquent les unes avec les autres.

Charles GIULIOLI

Jean-Jacques Tu cherches à peindre tes idées, alors ?

Charles GIULIOLI

Charles Ma conscience, si on veut. Ce qui se passe dans ma conscience. Ou même peut-être mon inconscient, je ne sais pas. Mais pas les idées. Ce que j’ai dans la tête.

Jean-Jacques Tu te questionnes sur ce que tu as dans la tête pour pouvoir l’exprimer.

Charles Oui, mais c’est de l’ordre du sensible. Par exemple, il va y avoir un endroit de bouillonnement, où je vais faire des grandes taches de peinture, des gribouillages, mais je ne vois pas les choses comme ça dans ma tête, alors à côté je vais faire une forme géométrique qui va stabiliser l’ensemble. Après j’ai envie d’espace, alors à côté ça va renvoyer vers un espace et petit à petit le tableau se constitue comme ça et pour moi le tableau est terminé quand ça communique. Quand le regard n’est pas bloqué quelque part, mais qu’on circule, qu’on va d’une chose à une autre, comme ça se passe dans notre tête. L’esprit se balade, des choses viennent au premier plan, d’autres s’effacent, tout est quand même présent.

Jean-Jacques Ça veut dire que tu as des images dans ta tête ?

Charles GIULIOLI

Charles C’est plus des sensations que des images, des sensations que je cherche à traduire en images. Par exemple, ce désir d’espace que j’ai, ce désir d’ordre que j’ai aussi, ce bouillonnement que je ressens, j’essaye de rendre au plus juste ce que c’est pour moi.

Jean-Jacques Tous tes tableaux fonctionnent de cette façon ?

Charles Oui, je n’en ai pas pris conscience au début, puisqu’au début c’était plutôt une histoire, mais depuis quelque temps, oui. Maintenant, j’en ai conscience.

Jean-Jacques Ça veut dire que tu te mets dans un état particulier pour le faire. C’est-à-dire être capable de t’abstraire de l’environnement pour travailler en introspection de ce que tu ressens de tes émotions, etc.

Charles GIULIOLI

Charles Je ne pense pas à mon environnement, mais tous mes tableaux ne se font jamais en une seule fois. À un moment ou à un autre, je ne serai pas dans le même état psychologique. Un jour, j’aurai envie d’un ordre clair, avec des formes mathématiques par exemple. Ce jour-là, c’est ce que je ferai sur la toile. Et puis le lendemain ça ne me plaira pas, je vais être mal, et je vais essayer de traduire ça et le tableau se construit petit à petit. Il y a des philosophies qui refusent le sujet et qui disent qu’on est des juxtaposions d’éléments. Je ne ressens pas ça, même si on est effectivement fait de juxtapositions, mais il y a un arrangement de toutes ces choses entre elles qui fait qu’on a chacun notre personnalité. Un tableau, par sa couleur, son ambiance générale, traduit quelque chose, il se passe beaucoup de choses différentes, mais le tableau lui-même crée une ambiance qui est la personnalité de celui qui l’a peint.

Jean-Jacques Il y a un ordonnancement de sensations, d’émotions qui font que c’est toi et ta personnalité et c’est ce que tu cherches à traduire en peinture. Tu cherches à exprimer ce que tu es.

Charles Oui, c’est exactement ça.

Jean-Jacques Et tu penses : ce que je suis ce n’est pas quelque chose d’un bloc, on ne peut pas le caractériser par des éléments qui sont séparés. Je suis un tout dans lequel il y a un agencement, un ordre que j’essaie de traduire en peinture.

Charles Oui, quand c’est fini et que je ressens que je suis de plain-pied, j’entre dans le tableau, je suis chez moi. Tous ces éléments disparates forment un tout, le tout d’un personnage.

Marc Il y a un jeu entre ce que tu essaies de saisir du flux de représentations, la traduction formelle que tu en fais en élaborant le tableau et finalement le tableau lui-même.

Charles GIULIOLI

Charles Oui, tout le temps l’idée que j’ai, que je commence à dessiner, quand je la vois réalisée, ce n’est pas ce que j’avais dans la tête, pas exactement, et je réagis, j’essaie de me rapprocher de l’idée que j’avais en tête ou de partir sur une autre idée. Parce que ça m’est suggéré ou que ça m’a traversé l’esprit. C’est tout l’intérêt de la peinture, on commence par quelque chose et il se passe quelque chose d’autre.

Jean-Jacques Ce que je trouve étonnant, c’est les liens que tu fais entre les formes et la couleur, et les personnages. Tu arrives à les agencer avec un équilibre incroyable.

Charles La recherche de l’équilibre, c’est permanent. C’est toujours entre un moment où je me dis : là il y a trop d’ordre, c’est fermé, ça ne bouge plus, c’est bloqué, et un autre moment où je me dis : ça part dans n’importe quoi. Je cherche l’état entre les deux qui me correspond à ce moment-là parce que d’une fois à l’autre ce ne sera pas le même point d’équilibre.

Marc Par exemple, le tableau devant lequel on discute depuis un certain temps : moi aussi je suis frappé par l’équilibre entre les courbes, les masses, la disposition des couleurs. C’est d’autant plus frappant qu’il y a un forte dynamique avec ces courbes, ces lignes, il y a même une espèce de tourbillonnement …

Charles GIULIOLI

Charles Oui, et avec ce tableau on est en train déjà de passer au chapitre suivant, la pratique du numérique.

Jean-Jacques Dès le début j’ai été touché par ça : on sent une rigueur scientifique et en même temps une sensation. Un tableau comme celui-là, combien de temps mets-tu pour le faire ?

Charles Il me semble qu’il y a un rythme et chaque peintre a le sien. Par exemple, Gilles Rieux me dit « si ce n’est pas fait en une séance, je recommence ». Moi, si c’est fait en moins d’une semaine, je suis frustré, je n’ai pas eu mon compte. Il faut qu’il y ait du temps, deux semaines c’est une bonne durée. Ce n’est pas entièrement du temps passé devant le tableau, c’est du temps où je l’ai dans la tête. Et puis un matin je vais me dire : voilà, je sais exactement ce que je veux faire. Très souvent, d’ailleurs, mes idées je les ai ailleurs que devant la toile. Et il y a toujours un moment où c’est dans l’impasse. Quelquefois – ce n’est pas de la dépression, il ne faut pas exagérer – je me dis mais pourquoi je fais ce métier de con ? Et puis à un moment, je trouve ! Il suffit de faire ça et là ça part, c’est un moment génial qui ne dure pas très longtemps. C’est un moment où le tableau se débrouille, je vais rajouter une petite tache rouge dans un coin et tout tombe d’aplomb. Quand je suis bloqué sur un tableau, quelquefois on me dit avec sagesse : passe à un autre. Mais si je ne réussis pas à résoudre ce problème, ça ne sert à rien de continuer à faire de la peinture ! Parce que j’ai toujours l’impression que ce problème est crucial, que si je ne le résous pas, il se reposera autrement ailleurs. Mais c’est quelque chose qui rend la peinture passionnante.

Jean-Jacques Ça me fait penser au sens du tragique. En réalité, ton tableau c’est une tragédie. À un moment, ça bloque, ça devient tragique. À partir de là, des émotions se mettent en place et il faut du temps pour les assimiler, pour pouvoir sortir et trouver la solution, l’espace. C’est le sens du tragique, ça. Tu bloques sur une touche de peinture, ça semble insignifiant, mais pour toi ça prend une dimension énorme. Tu peux tout mettre en l’air si tu n’arrives pas à mettre ta touche. Donc ton tableau est porteur d’une tragédie, c’est peut-être ce qui fait aussi sa force.

Charles GIULIOLI

Charles Peut-être. Dans chacun de mes tableaux ou presque, oui je peux dire tous, je suis passé par un état difficile comme ça. Les gens me disent toujours qu’ils adorent la sérénité, le calme de mes tableaux. Ça me fait sourire parce que ce n’est pas ce que je vis. C’est calme à la fin, ça s’est calmé.

Voilà, ça c’était un chapitre. Le chapitre suivant … c’est drôle parce que j’ai vraiment des cassures … Ce sens du tragique dont on parle, je ne l’ai plus en numérique. Et ça me réjouit ! On n’est pas obligé de passer par cet état tragique. Ce qui m’intéresse dans le numérique, c’est l’intervention du hasard. Je ne suis pas responsable, le hasard se produit et je choisis les résultats, mais je n’ai pas cet investissement émotif. Je ne suis pas responsable s’il y a un rond à tel endroit, il est là parce qu’il est tombé comme ça. Alors que, quand je peins, je suis responsable de chaque élément de la peinture. Je suis très sensible au hasard, dans un sens positif. Souvent on dit que les choses dues au hasard n’ont pas de valeur. Moi je trouve ça extrêmement réjouissant, ce mélange de hasards et de décisions. Dans la vie on décide, et toutes ces choses qui arrivent et qu’on n’a pas choisies, il faut les prendre comme des cadeaux. Alors dans le numérique c’est très cadré, j’écris des programmes qui font des choses bien précises, mais à l’intérieur de ces choses bien précises je laisse une possibilité de hasard et il va sortir des choses qui vont me surprendre et me réjouir.

Charles GIULIOLI

Marc Par rapport aux propositions que tu as préparées, à certains moments tu dois de nouveau te poser des questions, que pose toujours toute création : tu te demandes si telle ligne, tel volume, telle couleur est finalement bien à sa place en référence à la conception que tu te fais de l’équilibre final de l’œuvre. Tu te demandes si le résultat est esthétiquement recevable.

Charles Oui, mais je suis moins impliqué ! Je vais vous montrer ce que je fais maintenant. [Il nous présente un tableau] L’ordinateur dessine des lignes, ces lignes sont calculées au fur et à mesure, il y a des courbes avec huit paramètres, les paramètres sont choisis pas tout à fait par hasard parce que je veux obtenir un certain style. L’ordinateur n’arrête pas de les choisir, et ça dessine un résultat. J’en garde une petite partie, le reste est sans intérêt, et de cette partie que je garde il va y avoir une dizaine de courbes qui se ressemblent. Je les regarde – et ça je trouve que c’est passionnant – il y en a qui sont mieux que d’autres mais pourquoi, je ne sais pas, et c’est ça qui est bien. Je m’y retrouve, ça me correspond. Et je ne souffre pas !

Marc Avec la peinture, tu es dans une situation où tu es seul à décider de la façon dont tu vas te sortir de la difficulté. Dans le numérique, il y a un grand nombre de propositions qui sont faites et ce sentiment que tu vas tout laisser tomber n’existe plus puisque tu as quand même cet afflux de propositions dans lesquelles tu vas pouvoir choisir.

Charles GIULIOLI

Jean-Jacques Et en plus il y a la question du geste. Dans le numérique, tu n’as pas le geste. Donc tu n’es pas responsable parce que ce n’est pas ton geste, c’est celui de l’ordinateur.

Charles Là où il peut y avoir la difficulté dont on parle, c’est quand je prépare le programme parce qu’il se trouve que, quand je l’ai paramétré comme ça, beaucoup des images qui sortent me séduisent. Mais avec d’autres paramètres, un autre calcul, rien ne me plaira. Et c’est souvent le cas d’ailleurs, rien ne me plaît. Là il y a une difficulté, mais ce n’est pas pareil. Je ne sais pas … Je me sens moins investi.

Jean-Jacques Parce qu’entre toi et la production, il y a la machine. Ça te permet de te mettre un peu à distance. Finalement tu signes ton tableau, mais ce n’est pas l’ordinateur qui l’a fait ?

Charles GIULIOLI

Charles Si !

Jean-Jacques Ce que tu as fait, c’est le programme. Tu t’appropries le travail de l’ordinateur…

Charles … même pas de l’ordinateur, mais des hasards, des choix qu’il a faits dans les hasards. Là où il y a de la surprise, c’est dans les hasards, qui donnent des résultats différents.

Jean-Jacques Quand même, il y a une intention au départ, tu construis un programme pour obtenir certains résultats. Tu cherches à produire quelque chose, donc le hasard n’intervient que pour une part.

Charles Oui, il y a une intention. D’ailleurs je n’utilise jamais le même programme. Quelquefois je me dis : je vais réutiliser un programme que j’ai utilisé la semaine précédente pour faire des images. Mais si je le relance, je vais changer des choses, à chaque fois.

Charles GIULIOLI

Jean-Jacques Et comment tu conçois le programme ?

Charles Eh bien là, ç’a à voir avec la peinture, quand même. Comme dans la peinture, les choses s’enchaînent les unes avec les autres. Un tableau donne envie d’en faire un autre. Là c’est un peu pareil. Dans le cas de ce tableau, j’étais parti sur l’idée de faire du street art automatique. J’ai fait un programme avec un petit bonhomme qui dessine. J’ai cherché à faire des lignes qui soient un peu aléatoires, qui ressemblent à des écritures. En faisant ces lignes, j’ai supprimé le bonhomme, et ce qui m’a plu c’est de faire des lignes qui interagissent les unes avec les autres. Donc c’était l’idée, ensuite il a fallu écrire le programme, ce sont des maths …

Jean-Jacques … c’est amusant ce petit bonhomme qui dessinait et après tu l’as enlevé. Finalement c’est le peintre … J’enlève le peintre et je suis tranquille …

Charles … ça pourrait être interprété comme ça … Il y a tout un contexte à cette histoire de légèreté. Je trouve extrêmement léger de ne pas passer par ce tragique, dans le résultat, dans la matière aussi parce que toutes mes affaires tiennent sur une table. Légèreté par rapport à la vente de la peinture. C’est dur de vendre de la peinture, on se bat tout le temps, là j’ai l’impression que c’est beaucoup plus facile. À tous les niveaux, je passe d’un moment où j’avais du poids sur les épaules, et d’un seul coup j’ai l’impression qu’il y a une sorte de libération.

Jean-Jacques Peut-être que tu es dans le temps de la découverte. Ce n’est pas sûr que tu n’aies pas à te battre aussi contre l’ordinateur, contre le programme, contre les acheteurs qui ne vont pas avoir forcément envie d’acheter tes dessins. On ne sait pas encore.

Charles GIULIOLI

Charles Oui, quand j’écris un programme, je ne fais pas forcément ce que je veux non plus. Je le fais en fonction de mes compétences, de ce qui existe. Ça c’est comme la peinture, on fait avec ses outils.

Jean-Jacques On a parlé des images fixes. J’ai vu que tu faisais aussi des images en mouvement.

Charles C’est ce qui m’intéresse en ce moment. Quand j’ai commencé le numérique, ça venait vraiment de la peinture. J’ai commencé en 2003. Au début c’était vraiment par jeu. Je me suis aperçu que c’était toujours les mêmes éléments que je mettais : les arbres, les personnages, les écritures, les formes géométriques, etc. Qu’est-ce qu’il se passerait si, au lieu de les mettre comme je les sens, je les mettais au hasard ? C’est le principe de base du programme. J’ai dessiné tous ces éléments en noir et blanc, j’ai scanné, ça m’a fait des images pour mon programme. Le programme fait d’abord une grille et ensuite il place les éléments dans les cases, au hasard. Puis avec des couleurs, soit complètement au hasard, soit à partir d’un choix de ma part. Et je regarde le résultat. Est-ce que c’est comme mes tableaux, est-ce que c’est différent ? C’est différent, j’ai beaucoup de mal à dire pourquoi. Une différence peut-être : je ne peux pas m’empêcher de respecter le bord du tableau, je ne peins pas pareil au milieu et au bord, alors que l’ordinateur s’en moque. C’est plus uniforme et ça me plaît. C’est là que j’ai découvert ce charme du hasard, les éléments sont là sans autre raison qu’ils sont tombés là. C’est souvent comme ça dans la vie. Voilà, la découverte du hasard … ce n’était pas mon point de départ. Mon point de départ c’était un jeu sur mes tableaux, et maintenant c’est le hasard.

Charles GIULIOLI

Jean-Jacques Une autre différence aussi, c’est quand même la matière. Ça ne te manque pas, la matière ?

Charles Il y a un an, j’aurais dit oui. Le fait de ne jamais rien toucher me manquait, d’être toujours derrière l’écran, de voir les choses derrière une vitre, de voir les impressions lisses. Du coup, quand je peignais il y a encore un an, je faisais très attention à la matière parce que ça devenait précieux de ce fait. Et maintenant je vis très bien sans.
Maintenant je fais des œuvres en vidéo projection. Les éléments bougent, apparaissent, disparaissent, circulent. J’ai retrouvé exactement cette idée de représenter ce qui se passe dans l’esprit. Effectivement, dans l’esprit, il y a des choses qui apparaissent, qui disparaissent. C’est encore plus vrai, plus démonstratif que dans la peinture. On réintroduit la dimension du temps.

Jean-Jacques La peinture arrête le temps, tandis que là tu peux jouer avec.

Charles Quand une image passe et que tu sais que ce ne sera jamais exactement la même chose, c’est génial.

Jean-Jacques Tu penses faire une expo prochainement ?

Charles J’en ai déjà fait et je vais en refaire une à Paris. J’aurai une œuvre en vidéo projection et des estampes sur aluminium. C’est sur aluminium par sublimation, un procédé de transfert. C’est imprimé sur du papier, le papier est placé sur la plaque à chaud avec une presse et l’encre migre du papier au vernis qui est sur l’aluminium. Et aux Méridionaux je vais exposer une œuvre numérique, comme je l’avais fait il y a deux ans, avec un petit ordinateur. Comme le thème c’est « La métamorphose », je vais pouvoir métamorphoser une forme, qui n’était pas finie d’ailleurs.

Jean-Jacques Le prochain thème, c’est « Jeux interdits ». Pour toi, ce sera super !

Charles Ça me convient totalement !

Charles GIULIOLI

Entretien réalisé le 21/11/2017 à L'Union



Charles GIULIOLI

SENTIR LE TEMPS EXISTER

      temps des bouillonnements
    jaillissements éclaboussements
                                    soulèvements
                      fulgurations déflagrations
                                            élans coulées
                                                       magmas
                                            fouets de lumière
                                    temps de l’empreinte
                          des gestes de la peinture
                                      laissés visibles

                          temps chorégraphique
                    de la conscience
      conscience échiquetée
  une case puis une autre
    évènement mental
            sitôt apparu
                que disparu
                le regard zigzague
                    là-haut à droite ici là
                        en bas à gauche
                            silhouettes lointaines
                                    dans le tohu-bohu
                            conciliabules processions
                                              marches forcées
                                                            révélation
                                                            sérénité
                              écritures d’aucune langue
            équations cercles triangles sphères
                    arbre qui veille dans l’ombre
                        crépuscules de cendre
    bourdonnement des gribouillages

                          temps du temps
                                  et du hasard
                  des lignes qui peu à peu
                            passent s’inventent
                  se chevauchent se coupent
                        se poursuivent bifurquent
                          se séparent s’entrelacent
                          s’approchent s’ignorent

  pas seulement des lignes graphiques
                    pour une pure contemplation
                          de la ligne se faisant
                        mais lignes de vie
                    fine pointe de l’existence
            lisière de marée sur la plage

                    temps qui monte
                                                  descend
          s’efface

                              apparaît
                                                            disparaît

    descend
                        s’efface
                                              apparaît

                          temps qui fleurit
                  dans la fraîcheur matinale
                                de l’atelier

Marc Nayfeld

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