Arrivé en 1992 à Toulouse à la suite de circonstances dramatiques - l’incendie de son atelier - il vit aujourd’hui à Sainte-Foy-de-Peyrolières. Nous le rencontrons à la maison de retraite de L’Albergue où il a pu installer son atelier. Tous ses tableaux sont là, retournés contre les murs, quelques-uns sur des chevalets, dont l’œuvre à laquelle il travaille pour une prochaine exposition des Méridionaux, en décembre 2018, ou encore Images dont nous parlerons beaucoup avec lui. Dans les jours qui ont suivi cet entretien, une exposition lui a été consacrée à la bibliothèque universitaire de l’Arsenal à Toulouse.
Marc est à une petite table de travail, au milieu de la pièce, il dessine, il peint, inlassablement, toute la journée, une partie de la nuit. Un tuner diffuse de la musique classique, en continu. A la fenêtre d’angle de l’atelier, la vue est lointaine sur la très large vallée de la Garonne.
Jean-Jacques Dorne Tout d’abord merci de nous accueillir !
Ce qu’il nous intéresserait déjà de savoir c’est à quel moment tu as commencé à peindre.
Marc Desarme J’ai commencé à peindre à sept ans. J’étais à l’école catholique, à Tourcoing. Je commençais déjà à copier des dessins de Botticelli.
Jean-Jacques Dorne Tu les avais trouvés où, ces dessins ?
Marc Desarme Mon père me voyait dessiner et il m’avait offert un livre sur Botticelli. Je faisais des copies de dessins, et dans cette école catholique, à l’époque pour eux, c’était des nus. Ils ont dit à mon père « écoutez, on ne peut pas garder votre fils, il ne fait rien à l’école ». Je m’ennuyais, j’étais tout le temps puni. Quand j’arrivais à l’école, on me mettait tout de suite sur l’estrade. Ils ont dit « il faut faire quelque chose avec votre fils ». C’est comme ça que mon père a voulu m’aider à continuer le dessin.
Jean-Jacques Dorne Que faisait ton père ?
Marc Desarme Il était commissaire de police. Il aimait beaucoup l’art. J’ai eu une chance inouïe aussi, c’est que pour mes parents, l’art était très important. Ils ne peignaient pas, ils ne dessinaient pas, mais ils aimaient l’art. Ce sont eux qui m’ont emmené voir au musée de Gand – ce qui m’a vraiment touché – le Portement de Croix de Jérôme Bosch. C’est une toile qui m’a marqué, c’est la première toile de ma vie qui m’a vraiment touché. C’est tellement fin de couleurs, on voit même la couche de fond, on voit même le bois sur lequel c’est peint. C’est presque de l’aquarelle. Et puis c’est très bien composé.
Jean-Jacques Dorne Cette peinture a été un choc pour toi. Elle t’a donné envie de peindre ?
Marc Desarme Je dessinais déjà, Botticelli, je connaissais par cœur. Je dessinais tout le temps. Je suis passé des copies de Botticelli à « à la manière de » Botticelli. J’ai essayé de faire des compositions à la Botticelli.
Jean-Jacques Dorne Tes parents ne t’ont pas mis dans une école des Beaux-Arts ?
Marc Desarme Après avoir été viré de l’école catholique, j’ai connu Delvaux. C’est mon père qui a été le voir en lui demandant s’il pouvait me prendre. Delvaux était réticent mais ça s’est fait comme ça. Il a dit « je le prends, mais est-ce qu’il dessine ? ». Il m’a dit « tu fais un dessin par jour ou tu ne viens pas ». Un jour j’ai triché, j’ai fait plusieurs dessins en une journée. Quand j’ai été le voir il m’a dit « tu retournes chez toi ». Ça se voit, le lendemain tu n’as pas le même équilibre.
Delvaux je l’ai connu au moment où il faisait ses squelettes. Il y en avait partout. Et des vrais aussi, je ne sais pas comment il se débrouillait pour en trouver. Je suis arrivé dans son atelier quand il s’est fait excommunier par le pape parce qu’il avait fait une mise en croix avec un squelette.
Jean-Jacques Dorne Il t’a demandé de dessiner des squelettes ?
Marc Desarme Mais je n’ai fait que ça d’abord ! Des squelettes, j’ai commencé comme ça.
Jean-Jacques Dorne Passer de Botticelli aux squelettes, c’est quand même dur, non ?
Marc Desarme C’était marrant …
Jean-Jacques Dorne Il était marrant, Delvaux ?
Marc Desarme C’était quelqu’un d’une très grande gentillesse. Il avait une chemise d’un bleu … alors que ses compositions étaient froides, rigoureuses. C’est lui qui m’a appris la composition
Je ne savais pas ce que c’était. C’est comme ça que j’ai connu la porte d’or, le nombre d’or.
Marc Nayfeld Avec Delvaux tu as travaillé la peinture aussi, jusqu’à présent on a surtout parlé de dessin.
Marc Desarme Oui j’ai peint avec lui, il m’a tout appris. Quand je suis arrivé aux Beaux-Arts, ensuite, en culotte courte, tout le monde se moquait de moi, j’en ai souffert beaucoup. Il y avait un problème de jalousie. J’ai souffert moralement. Quand je faisais un portrait, j’y arrivais, les autres n’y arrivaient pas. Du coup j’ai demandé à mon père de m’habiller en pantalon …
Jean-Jacques Dorne Tu avais quel âge quand tu es arrivé aux Beaux-Arts ?
Marc Desarme J’avais douze ans, avec une dérogation du préfet. J’ai tout fait en avance, je me suis marié à dix-sept ans …
Jean-Jacques Dorne Finalement, tu es resté combien de temps dans l’atelier de Delvaux ?
Marc Desarme Un an. C’est lui qui a dit qu’il fallait me mettre aux Beaux-Arts. Je ne sais pas ce qu’il y a eu comme discussion entre mon père et lui, j’étais trop jeune. Au départ, mon père voulait que j’entre à l’École Saint Luc de Tournai, mais financièrement c’était un gouffre.
Jean-Jacques Dorne Donc tu t’es retrouvé aux Beaux-Arts de Tourcoing.
Marc Desarme Oui, mais je n’y suis pas resté longtemps, trois ans pour préparer le CAFAS. Après, mon père est décédé, les choses ont tourné autrement.
Jean-Jacques Dorne Qu’as-tu fait après les Beaux-Arts ?
Marc Desarme Ç’a été une période un peu … la bohême, quoi … Après, je me suis marié à dix-sept ans, j’ai continué à peindre.
Jean-Jacques Dorne Tu exposais déjà ?
Marc Desarme J’avais fait une exposition personnelle à Tourcoing, avant de devenir élève de Paul Delvaux. Et aussi avec le musée du Costume, c’était des expositions collectives. Après le CAFAS et les Beaux-Arts, je suis entré à l’armée. Je suis resté dans le Nord parce que j’ai peint des fresques à la Citadelle de Lille. Je ne voulais pas partir en Algérie, j’avais déjà un gamin. J’ai fait des fresques, j’ai pris mon temps. Des fresques pour l’armée qui, paraît-il, existent encore.
Jean-Jacques Dorne Tu leur as fait des nus de Botticelli ?
Marc Desarme Ah non ! Ensuite en 1965 j’ai exposé au Grand Palais, à vingt-deux ans.
Jean-Jacques Dorne Au cours de cette période, tu nous as parlé de Botticelli, de Bosch, mais on ne sait pas ce que tu peins, toi. Pour exposer au Grand Palais, il fallait bien que tu présentes quelque chose !
Marc Desarme Il n’y avait pas de sujet. Je peignais dans l’esprit de Delvaux, plus que je ne le fais maintenant. Aujourd’hui je me suis détaché de Delvaux, enfin j’espère. Sauf pour la composition.
Jean-Jacques Dorne Tu peignais à l’huile ?
Marc Desarme Non, à la tempera. C’est Delvaux qui me l’a apprise. La tempera, c’est à l’œuf, c’est toute une préparation dingue, il faut un œuf par jour, tu as intérêt à avoir une poule sur le balcon …
Jean-Jacques Dorne Tu continues à la tempera ?
Marc Desarme Non, j’ai abandonné, maintenant il y a l’acrylique. La tempera c’est un boulot monstrueux à faire, tu n’as pas le droit au repentir.
Jean-Jacques Dorne Pourquoi Delvaux peignait-il à la tempera ?
Marc Desarme À l’époque on ne connaissait que ça, l’acrylique n’existait pas.
Jean-Jacques Dorne Il y avait l’huile quand même.
Marc Desarme C’est compatible, il mélangeait les deux. Tu fais tous les dessous à la tempera, et après tu reviens à l’huile dessus, il n’y a pas de problème.
Jean-Jacques Dorne Alors, on en était au Salon d’automne de 1965. Tu avais vingt-deux ans, tu peignais dans l’esprit de Delvaux. Il y avait déjà beaucoup d’objets dans ta peinture ? Comment sont-ils arrivés ?
Marc Desarme Tu prends n’importe quoi, et ça va bien.
Jean-Jacques Dorne Quand même pas …
Marc Desarme Tu prends un verre, ça peut devenir une toile.
Jean-Jacques Dorne Ça veut dire que, quand tu fais une toile, avant de mettre des objets, tu as une idée. Et quand tu passes à la réalisation, il y a d’autres choses qui interviennent. Par exemple, ça peut être des objets que tu places dans la toile. Tu les rencontres, ou tu les trouves sur un catalogue ou ailleurs ?
Marc Desarme D’abord je fais des croquis préparatoires et, suivant ces croquis, je rajoute.
Jean-Jacques Dorne Ça m’impressionne de voir des objets aussi précis. Tu les as dans ta tête ?
Marc Desarme Non je prends des documents.
Jean-Jacques Dorne Donc ça veut dire que tu as des bases de documents.
Marc Desarme Ce qui est dans ma tête, c’est si je mets un avion là ou autre chose.
Marc Nayfeld Qu’est-ce que tu appelles « l’idée » quand tu parles d’idée du tableau ? Concernant ce tableau, par exemple [Images]. Il y a une multitude d’objets, on y reviendra sans doute, mais si on part d’une « idée », qu’est-ce que cela signifie au point de vue de la démarche ?
Marc Desarme Le thème venait d’un Salon des Méridionaux, c’était « complément d’objet ». D’après le thème, qu’est-ce que je vais faire ? Je me suis dit « il faut que chaque objet ait un rapport avec d’autres ». Donc je me suis amusé à ce que chaque objet ait un rapport avec un autre.
Marc Nayfeld Ce que tu appelles « idée », ce n’est donc pas une représentation préalable, schématique, préparatoire, c’est une intention. Mais ce n’est pas pictural au sens où ça ne relève pas encore de la peinture. C’est une sorte de projet d’organisation. Tu ne vois pas encore la composition ? Tu n’as pas encore une représentation préalable de ce que tu vas faire, et de tous les objets ?
Jean-Jacques Dorne Tu intègres les objets au fur et à mesure ?
Marc Desarme Non, je les prépare. Mais je fais d’abord un dessin préparatoire en grand.
Jean-Jacques Dorne Comment il se présente, ce dessin ?
Marc Desarme (Marc Desarme prend un crayon et une feuille de dessin, et refait le projet de structuration du tableau = figures géométriques organisatrices, lignes de force, relation des formes entre elles) Voilà, je pars de cette composition qui est en rond. J’utilise la porte d’or et le nombre d’or.
Jean-Jacques Dorne Donc dans un premier temps tu dessines des formes.
Marc Nayfeld C’est ce que tu appelles « l’idée » du tableau.
Marc Desarme Oui. Ensuite je vais me demander ce que je vais faire. Ça, ça peut être un personnage féminin (il dessine). Là une palette. Ensuite il faut agrémenter.
Jean-Jacques Dorne Tu reviens à la forme.
Marc Desarme Ensuite tu as toute la ligne d’immeubles qui vient ici. En gros, ça fait ça (il dessine). En dessous, j’ai ça et ça. Là, c’est l’avion. Ensuite il y a le quadrillage (il dessine). Après, quand j’ai fait ça tout petit, si on agrandissait ?
Jean-Jacques Dorne Dedans, ensuite, tu poses les objets.
Marc Desarme Suivant la composition, il faut qu’on tienne telle chose ici, telle chose là. Et après tout part, tout correspond. Tu peux la retourner, la composition tient.
Jean-Jacques Dorne Ce qui est extraordinaire, c’est que tous les objets sont reliés entre eux. Quand j’ai voulu photographier tes tableaux, je m’étais dit que j’allais prendre un détail mais ce n’est pas possible. On ne peut pas isoler un détail. Tout est imbriqué. La composition est d’une rigueur incroyable.
Marc Desarme La composition tient la route. La composition est un casse-tête. C’est plus difficile de la trouver qu’après quand tu délires.
Jean-Jacques Dorne Tu délires ou tu meubles en fonction des idées d’objets que tu vas avoir. Tu sais que tu vas les placer à tel endroit parce qu’il faut qu’ils respectent un équilibre.
Marc Desarme J’ai mis du temps à chercher la composition.
Jean-Jacques Dorne Il y a des choses qui reviennent souvent chez toi. Par exemple quand tu mets tes immeubles au fond …
Marc Desarme … c’est les images du Nord, ça … les maisons du Nord sont très particulières, avec la brique, les couleurs …
Jean-Jacques Dorne Ces objets renvoient à quoi ? Ils s’associent les uns avec les autres. Le petit bateau c’est l’enfance, ça. L’avion …
Marc Desarme … le bateau ça fait penser à l’évasion.
Jean-Jacques Dorne Le bateau est sur un livre, à côté d’un téléphone …
Marc Desarme (rire)
Jean-Jacques Dorne Il y a différents plans sur la toile. Au-delà de la composition, il y a des plans.
Marc Desarme Tu peux avancer, tu peux reculer, mais ça, ça vient tout seul. Je ne peux pas l’expliquer. Ce qui est dur, c’est le repentir. Sur cette toile je n’en ai pas trop eu. Il y en a mais ça ne se voit pas.
Jean-Jacques Dorne Dans l’ensemble, alors, qu’est-ce qu’elle veut dire, cette toile ?
Marc Desarme Images, c’est la vie courante … tu as la mort, la naissance, la jeunesse …
Jean-Jacques Dorne C’est une belle toile, on sent un aboutissement.
Marc Desarme Je crois que c’est la toile la plus aboutie que j’aie faite.
Marc Nayfeld Et après l’exposition au Grand Palais, qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Marc Desarme C’était en 1965. J’ai rencontré Aragon. Il m’a acheté une toile. Une scène de cirque. C’était dans le cadre du Prix Fénéon. Après, j’ai toujours eu la trouille d’aller le voir, il m’avait laissé ses coordonnées, je n’ai jamais osé, je ne l’ai pas revu. Ensuite je suis parti à Madagascar. Entre temps j’ai participé à l’émission de télévision « Jouer sur deux tableaux ». On travaillait sur un thème chaque mois. J’ai obtenu dix prix sur douze !
Jean-Jacques Dorne Les prix que tu gagnais étaient des voyages ?
Marc Desarme C’est comme ça que je suis parti à Madagascar et j’y suis resté sept ans ! Là j’ai complètement abandonné la peinture et je me suis occupé des lépreux. C’était difficile. Quand j’ai vu ces gens, ça m’a troublé. Des moines m’ont sollicité et je suis resté.
Marc Nayfeld Et là, plus de peinture du tout ?
Marc Desarme Non, ça ne me manquait pas. C’était tellement beau. Mais j’ai attrapé une saloperie, j’étais paralysé des jambes, on n’a jamais su ce que c’était. Le médecin m’envoyait chez le rebouteux, c’était fou. Puis ça s’est passé tout seul. Ç’a duré quand même quinze jours. Les gens pensaient que j’avais reçu un sort.
Jean-Jacques Dorne Tes enfants allaient à l’école là-bas ?
Marc Desarme Oui, il y avait des écoles françaises. Mais la situation politique s’est dégradée et j’ai dû rentrer. Je suis revenu en France en plein, au Bourget, je m’en souviendrai toujours. Heureusement j’avais conservé mon appartement.
Jean-Jacques Dorne Qu’est-ce que tu as fait alors ?
Marc Desarme Je suis revenu à la peinture. J’ai repris mon travail d’illustrateur indépendant, et j’ai eu plusieurs prix de peinture et j’ai exposé dans des galeries. Après, j’ai divorcé, mon atelier a brûlé, toutes mes toiles ont brûlé, au moins quatre-vingt, la veille d’une exposition. Je n’en ai sauvé qu’une, une vraie miniature
Jean-Jacques Dorne Tu dis que tu aimes la miniature, tu en as fait.
Marc Desarme Quand j’ai vu les Très Riches Heures du duc de Berry, je me suis dit qu’il fallait faire des miniatures.
Voilà, maintenant je suis ici, je peins comme je veux. Je n’arrête pas, je me lève à 6 heures du matin et je peins jusqu’à minuit. Quand je n’en peux plus, j’arrête.
Jean-Jacques Dorne Tu dois avoir une production énorme alors ?
Marc Desarme Non ! Toutes ces toiles je les ai faites ici. Il y en a soixante-dix. Je suis là depuis à peu près cinq ans. Sur Images il y a un an de travail.
Jean-Jacques Dorne C’est très beau. Je trouve tes toiles très vivantes, avec beaucoup d’objets et des perspectives toujours lointaines. Ton regard peut s’évader, il ne reste pas enfermé dans la toile.
Marc Desarme C’est typiquement l’esprit des Anciens, il faut voir Van Eyck. Je voudrais bien revoir L’Agneau mystique à Gand. Si j’y vais, je ne vais pas peindre pendant huit jours ! Quand tu le vois, c’est d’une fraîcheur … on se demande comment il faisait, on croit que c’est peint d’aujourd’hui. Il n’y a pas d’écaille, pas de maladie de la peinture. Il faut continuer de faire, il faut essayer, on en apprend tous les jours, c’est déjà beaucoup, on se pose des questions.
Marc Nayfeld Pendant ces très longues périodes dont tu parles, de 6 h à minuit, tu travailles sur plusieurs tableaux ou sur un seul ?
Marc Desarme Sur un tableau. Deux j’ai essayé, ce n’est pas possible. Tu ne peux pas sortir et si tu t’échappes, tu perds tout. D’autres peintres arrivent à le faire. Moi je suis trop axé sur mon tableau, je ne peux pas m’évader, je risque de perdre l’équilibre de toute la toile. Déjà quand tu vas te coucher et que tu reviens le matin, tu ne vois plus les mêmes choses !
Jean-Jacques Dorne Oui, plus tu perfectionnes ta composition, plus il devient difficile de tout remettre en équilibre, et si tu perds un moment cet équilibre tu ne peux plus revenir dessus. On sent bien cet équilibre dans tes toiles. Tout est construit et tous les éléments se tiennent.
Marc Desarme Pour moi ça vient comme ça, je ne peux pas l’expliquer. Cette forme, est-ce qu’il faut la voir comme ci, ou comme ça ? On apprend tous les jours, tout le temps, en dessin, en peinture…
Jean-Jacques Dorne Et qu’est-ce qu’on apprend ?
Marc Desarme On découvre tout le temps quelque chose de nouveau. Si demain, quand je me lève, je vois ça, je me dis « ça ne va pas ! » … il faut revenir dans la composition, sans avoir de repentir. Et puis une toile ce n’est jamais terminé, on revient tout le temps dessus.
Jean-Jacques Dorne Quand as-tu fini alors ?
Marc Desarme Jamais !
Jean-Jacques Dorne À un moment donné tu arrêtes quand même.
Marc Desarme J’arrête d’épuisement. Quoique … celle-là [Venise] j’ai failli la retoucher, et puis j’ai dit non.
Jean-Jacques Dorne Qu’est-ce que tu pourrais retoucher ?
Marc Desarme Un élément qui ne me séduit pas. Là par exemple, j’ai retouché des trucs il n’y a pas longtemps parce que j’ai trouvé que ce n’était pas droit, mais ça ne se voit pas …
Jean-Jacques Dorne Il n’y a que toi qui peut le voir !
Marc Nayfeld Et tu continues de fréquenter les peintres, tu regardes, tu feuillettes des livres ?...
Marc Desarme Les peintres actuels non, mais les anciens. Van Eyck, Brueghel … on connaît peu de leur vie, c’est dommage.
Jean-Jacques Dorne En même temps ça entretient le mystère.
Marc Desarme C’était des gens assez secrets …
Entretien du 22/02/18 - Sainte Foy Peyrolières
Il ne fait pas bon dessiner des nus
Dans les années cinquante
Des nus de Botticelli
Chez les Frères des écoles chrétiennes
Mais l’enfant dessine toujours et toujours
Et deux adorables anges gardiens
Familiers des musées et des enfants qui dessinent
L’emmènent un jour sur le grand chemin
Des révélations à Gand
S’étonner devant les têtes grimaçantes
Torturées de haine et de bêtise
Du Portement de Croix de Jérôme Bosch
Où seule la femme garde le mystère de compassion
Crypté dans son regard tourné en elle
Très tôt vient la saison
Des femmes blancheur de lune
Qui regardent sans les voir
Passer les tramways
Le temps d’apprendre
Parmi les squelettes de Delvaux
Surtout ce que c’est que composer
Une leçon qui vaudra pour toute la vie
L’entrée par la porte d’or
La bohème … la peinture ultime
Refuge dans l’hiver de la rue
La maison brûlée
Les voyages les divagations
Aragon en passant
Embarque une troupe de saltimbanques
Et disparaît à jamais
Mais la Grande Île cette sorcière
Quel sort a-t-elle pu jeter
À un peintre déjà si possédé par son art
Qu’il en oublie sans douleur
De peindre
Pour l’amour des lépreux ?
Composer donc
Chercher et rechercher l’ordonnancement
Dessiner le cercle le triangle les lignes et les horizons
Construire tout l’échafaudage invisible
La géométrie secrète qui fait tenir ensemble
La vision explosante-fixe d’Images
Surpeuplée inépuisablement d’objets de figures de lieux
Venus par filiation très lointaine
Des multitudes stupéfiantes du Jardin des délices
Des foules innombrables de Brueghel
Un portique étrange
En suspens dans l’espace pictural
Octroie souverainement l’équilibre à ce rêve éveillé
Il ouvre sur le temps et la pluralité de mondes
Que l’on devine seulement
En bas le ciel en abîme où se baigne l’A310
En haut la falaise urbaine et ses grues impassibles
Sous un soir électrique
Les rues nordiques de l’enfance la poupée dans son étui
La rose pourpre en son cœur les affaires de travail
Crayons et pinceaux
Tout près le fœtus et le crâne le livre ouvert sur rien
La femme au tableau l’antique caméra la toile blanche
Le petit bateau qui n’ira pas sur l’eau
Le petit avion pendu à un fil
Tous signes surgis comme étoile filantes
À l’improviste sans préméditation
Au fil d’un travail au très long cours
Ou hiéroglyphes de la mémoire hauturière du peintre
Témoins énigmatiques de ses chemins de traverse
Ses allées et venues ses rencontres ?
« Alors que pensez-vous de tout ça ? »
Eh bien …
Qu’est-ce que cela veut dire ?... y a-t-il un chemin ?...
Réponse d’évidence et amusée
« … la mort la naissance la jeunesse … »
La mort la naissance la jeunesse ?
Oui …
Dans cet ordre
Comme un magistral aboutissement
Un accomplissement
Marc Nayfeld